Trois amies de Chateaubriand

TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND 327

pas, qu’on ne regrette pas et qui ne valaient pas la morne peine de les vivre!

Toutes ces exigences et tout ce despotisme de la sensibilité, cette véhémence douloureuse du désir, autant de nouveautés inquiétantes et attrayantes, chez l’auteur d’Atala, des Mémoires d’outre-tombe et de la Vie de Rancé. Nous ne trouvons rien de pareil. pendant le dix-huitième siècle; et cela, au dix-septième siècle, eût scandalisé. Je ne vois, non plus, rien de pareil durant la Renaissance, qui fut sensuelle avec une espèce de forte santé; rien de pareil, faut-il le dire? à l’époque du moyen âge. Et, pour rencontrer enfin quelque chose d’analogue, en remontant le cours des âges, nous irons très loin; nous irons jusqu'au moraliste Sénèque, jusqu'aux lettres d’ingénieuse direction qu'il adressait à Lucilius et, mieux encore, jusqu'au subtil traité de psychothérapie qu’il adressait à Serenus, de tranquillitate anim.

Serenus est un garçon délicat, fort élégant, très cultivé, qui a toutes commodités pour être heureux; mais il n’est seulement pas content. Il éprouve un perpétuel malaise, qui ne vient pas de ses organes et qui ne résulte pas non plus d’un chagrin particulier. Il souffre d’un mal caché, d’une sorte d’ennui dont les causes lui échappent. C’est un malade de la sensibilité. Sénèque lui donne d’excellents conseils, que l’autre, d’ailleurs, ne suivra pas. Sénèque lui prêche le stoïcisme. C’est une affaire de tempérament. Et Serenus n’a pas le tempérament d’un stoïque : il le