Trois amies de Chateaubriand

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336 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND

Pourtant, il a été la grande imagination créatrice de tout le dix-neuvième siècle. Mais, ce qu'il eut comme personne, ce fut une merveilleuse et féconde imagination de sentiments, — voilà pour l'âme de son œuvre, — une merveilleuse et féconde imagination des mots qu’il fallait pour peindre de tels sentiments, — voilà pour les dehors de son œuvre.

Les sentiments qu'il y a dans l’Essar sur les révolutions, cette révolte douloureuse, cette angoisse, ce déplaisir menaçant d’une âme éperdue, on n'avait encore trouvé cela nulle part. Les sentiments du Génie du Christianisme, ce cri d'appel vers le refuge de la croyance, ou ne l'avait pas encore entendu. Cet étrange, ce nostalgique et cet ensorcelant amour de l'exotisme qui est dans Atala, c'était tout neuf. La perversité quasi délicieuse, la mortelle mélancolie, la morbide rêverie de René, aucun écrivain d’aucun temps et, il me semble, d’aucun pays ne l'avait rendue encore avec cette extrême intensité. Le sentiment du pittoresque et de l’histoire, qui emplit de tristesse hautaine et de funèbre volupté chaque page de l’Jtinéraire, est une découverte de ce voyageur qui se jouait quand il prétendait avoir déniché les ruines de Sparte, mais qui aurait eu bien raison de dire qu’il inventait une nouvelle poésie des âges et : des ruines. Le sentiment de la vieillesse, le sentiment de la décrépitude et de la mort prochaine, le sentiment de cette graduelle déchéance, il est dans l'accent même de la Vie de Rancé, comme jamais encore il n’avait retenti.