Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

D'ANTRAIGUES ET SES ENNEMIS. 121 vaincus dispersés et démoralisés ; il avait contre lui sa suffisance, le sans-gêne de ses procédés, l'exagération de ses opinions et la vivacité de sa polémique, l'impuissance finale de toutes ses tentatives.

Sa mère était pour lui un censeur sévère et un conseiller impatiemment écouté. Manque de franchise et de sang-froid, indulgence égoïste pour d'indignes admirateurs, sentiments haineux et vindicatifs, elle notait tout cela dans son fils, et voulait s'expliquer ainsi et lui expliquer à lui-même le nombre et l'acharnement de ses ennemis. Elle lui demandait, au su de ses démêlés incessants avec ses supérieurs et ses inférieurs, d'aimer la paix, de savoir reconnaître ses torts, et, comme pour lui donner l'exemple, elle résumait dans ces mots les pensées que cet enfant toujours ingrat et toujours aimé Jui inspirait : «Il n’y à que Dieu seul qui connaisse tout ce que vous avez fait contre moi depuis que vous avez l’âge de raison, et ce que j'ai fait et souffert pour vous depuis votre naissance : je vous pardonne de tout mon cœur... » Mais elle était la seule à pardonner, et d’Antraigues, dans la situation à la fois importante et équivoque qu'il s'était faite, avait attiré sur sa tête bon nombre d'inimitiés qui ne désarmaient pas.

Et comment en eüt-il été autrement? Il avait concentré avec affectation dans sa main toutes les affaires de son parti en Italie, et écartait ou brisait quiconque, même à Venise, voulait agir en dehors de lui. Combien d'émigrés, pour peu qu'ils eussent d'argent à leur portée ou d'hommes à leur suite, se sont crus ainsi destinés à relever le trône! D'Antraigues avait à son service un incontestable talent d'écrivain, et cela suffisait à le persuader de ses aptitudes d'homme d'État. Il n°y a pas, on le sait, d'hommes plus naïvement infatués d'eux-mêmes