Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

D'ANTRAIGUES ET SES ENNEMIS. 123

Louis XV, mais le 23 juin 1789 au Jeu de paume. On Jui attribuait ce mot : « Je serai le Marat de la contrerévolution ; je ferai tomber cent mille têtes et celles des modérés comme Montlosier les premières. » Non seulement il ne démentait pas ces paroles, mais il disait, au moins à demi-voix : « S'il fallait faire le sacrifice de vingt millions de Français pour établir la monarchie sur les deux ou trois millions qui restent, il n’y aurait pas à hésiter (1). »

Il avait, au même degré que le goût de l'exagéralion, celui de la mystification. Certain Rapport de Saint-Just qu'il fit imprimer en 179% en est la preuve. Le genre auquel appartient cette publication consiste à placer sous un nom contemporain, vrai ou supposé, l'expression plus ou moins voilée, plus ou moins ironique de sentiments qu'on estime inutiles ou dangereux à communiquer sous son propre nom. Ce genre n'était pas nouveau ; Voltaire en avait usé et abusé dans sa guerre de pamphlets contre ses ennemis personnels et contre la religion chrétienne. D'Antraigues se plut à l'employer contre la Révolution, ef se cacha derrière Saint-Just, comme le patriarche de Ferney s'était caché derrière le docteur Akakia et Jérôme Carré, pour discréditer, par les soidisant aveux d'un député montagnard, la Convention et la république.

À ces reproches, au-devant desquels il courait étourdiment, l'opinion en joignait d’autres, fondés, faute de preuves, sur des indices sérieux. Ses correspondants où ses subordonnés accusaient tout bas son manque de véracité, son manque de désintéressement. Ne se souvenait-il

(1) Moxreattrann, Mémoires secrets, p. 89. — Note datée de 1796. (B. M., Add. mss. 8055, f 62.)