Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

124 CHAPITRE TROISIÈME.

plus de ce que la Saint-Huberty lui écrivait un jour

« Prête-moi un peu de ton foupet, et je vous leur ferai des histoires qui n'auront ni père ni mère (1) »? Tel de ses bulletins passait, aux yeux des gens méfiants, pour une collection de faits inventés, devinés ou puisés à des sources sans valeur, pour une glose ingénieuse et romanesque du Moniteur ou d’autres papiers français (2). On signalait son écriture presque illisible, ses mots tracés à la hâte et inachevés comme un témoignage involontaire de dissimulation, et l'on tenait pour un signe d'hypocrisie ou d’impuissance réelle l'abondance stérile de ses confidences épistolaires.

Ge n'est pas tout : on le soupconnait d’être de ces faiseurs qui ont toujours, comme disait l'un d'eux, eun œil sur le papier et l’autre braqué sur le coffre-fort du gouvernement qu'ils veulent abuser (3) ». Il maniait beaucoup d'argent, recevait de plusieurs mains, et appliquait à sa façon le précepte évangélique, laissant toujours ignorer ‘à sa main droite ce que sa main gauche avait donné. Il disposait des sommes qu'on lui confait sans se soucier d'en rendre compte par le menu, opérait des virements dont sa bourse n'avait jamais à souffrir. S'il donnait quelquefois de sa poche aux émigrés pauvres, c'était comme un prêt qu'il faisait à la caisse royale et dont il se remboursait avec usure (4).

(1) De Goxcourr, la Saint-Huberty, p. 139.

(2) Thugut à Colloredo, 27 novembre 479%. (Vivenor, Vertrauliche Briefe des Freiherrn von Thugu£, t. T, p. 157.)

(3) Favcue-Borez, Notice sur les généraux Pichegru et Moreau, p. 119.

(x) « Je leur ai donné, depuis 4791 jusqu’au 1% janvier 1798, 1,623 louis d’or... » (D’Antraigues à Maury, 1° septembre 1798. — À. F, France, vol. 59%, P 38%.)