Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

D'ANTRAIGUES ET SES ENNEMIS. 125

Comment s'étonner, dès lors, qu'il ait inspiré peu de

confiance aux étrangers? À Vienne, Thugut dénonçait en ne avec raison un ennemi de la politique autrichienne. À Rome, Azara, vieux voltairien, le qualifiait de jésuite. À Barcelone, le gouverneur général Lascy flairait quelque chose de louche dans le verbiage de ses lettres. À Venise même, on l'a vu, Mordvinov redoutait cet auxiliaire incommode, et ne l’admettait qu’à regret, après avoir épuisé les prétextes et les délais, dans les rangs de la légation russe.

De nombreux toyalistes faisaient écho à ces plaintes. Ne travaillant pas au grand jour et s'étant commis avec bon nombre d'agents mystérieux comme lui, d'Antraigues avait fini par s'aliéner presque tous les chefs apparents et importants de son parti. Il y avait d'abord au loin les modérés par principe ou par habileté, qui gémissaient sur la « folie de Vérone (1) » et qui, croyant encore à la monarchie, ne croyaient plus à une restauration possible de Louis XVIII. Ceux-là accusaient l'influence néfaste du faiseur de Venise. En Suisse, c'était Mallet du Pan; en Angleterre, c'était le groupe qui suivait Malouet, Montlosier, Lally-Tollendal.

Mallet du Pan pensait à lui lorsqu'il stigmatisait les «romanciers », les « brochuriers incendiaires » , et écrivait en propres termes : « On devrait comprendre que la confiance ne peut être commune à M. d’Antraigues et à moi, et si l’on entend suivre ses directions, il faut jeter les miennes au feu sans les lire (2). » Il lui était pénible de s'entendre demander des conseils qu'on ne suivait

(1) Mauuer nu Pax, Mémoires el correspondance, t. XL. p. 9697. (2) Id., ibid., t. IT, p. 171.