Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

D'ANTRAIGUES ET SES ENNEMIS. 127

Contre ses ennemis de tout bord, d’Antraigues tirait avantage de sa position équivoque. Servant deux souverains, il ne donnait, si je puis dire, qu'un dévouement diminué de moitié à l’un et à l’autre. Il se regardait d'abord, en vertu de sa situation officielle, comme Espagnol, quitte à se souvenir aux bons moments qu'il était né Français; car Charles IV était vraiment roi, et le payait régulièrement, à Vérone, au contraire, il servait un souverain sans couronne, pauvre et toujours incertain du lendemain. Aussi, pour se faire bienvenir du premier, il lui faisait hommage d’une boîte plus ou moins authentique ayant appartenu à une victime de la Révolution, l'archevêque d’Arles (1). Il étail, en revanche, telle affaire, telle correspondance dont il ne daignait pas instruire Louis XVIII, sous prétexte qu’il devait craindre les indiscrétions. Puis à l'occasion il faisait élalage de son absolue franchise. On lui fit savoir un jour de Vérone qu'un mémoire de Brolier était rédigé avec une sincérité trop rude, qu'il aurait dû en adoucir certains termes au passage; même déchus, les rois n’aiment entendre que ce qui leur plait. Et lui de riposter : « Je voudrais voir ces messieurs à Paris échappés de la quillotine comme Brotier et voir leurs raisonnements... Quel reproche singulier fait-on à cet homme de suivre les ordres du roi littéralement ? Le roi m'a ordonné de lui tout dire, il me l’a écrit cinq fois de sa main. et quand on lui dit tout : C’est trop fort, il fallait adoucir. Ma foi, je ne suis pas un enlumineur... Ces

(1) D'Antraigues à Godoï, 1795. (A. F., France, vol. 63%, P 72. — Cf. MoxreaLarn, Mémoires secrets, p. 88.) — La réponse de Godoï (5 mars) figure dans le catalogue de la vente Ricardo Heredia (mai 1893), 3° partie, n° 3773.