Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
142 CHAPITRE QUATRIÈME.
mains du ministre de France, pour être remis ensuite au Directoire (1).
Un fait étrange et ignoré, c’est qu'à ce même moment d'Antraigues eût pu, s’il l'eût voulu, entrer au Conseil des Cinq-Cents et travailler légalement à la ruine de la république. Les élections de l'an V devaient avoir lieu le 1°" prairial (20 mai), et les royalistes, avec l’assentiment tacite de Louis XVIIT, se préparaient à y prendre part, de compte à demi avec les adversaires du jacobinisme. De France, sans doute du Vivarais, on sollicita l’ancien député de la noblesse de se faire rayer et d'annoncer sa candidature. La pensée de ressaisir en rentrant quelques débris de sa fortune le tenta; il demanda conseil à sa mère, dont il méconnaissait souvent les avis, mais dont il appréciait fort le jugement à l’occasion. Celle-ci, droite et entière, était incapable de comprendre une transaction qui lui semblait fatale, soit au caractère, soit au désintéressement présumé de son fils. Elle le conjura de ne point affronter une mêlée où il rencontrerait des hommes tels que Talleyrand, de tenir « ferme comme un roc ». — « Le pauvre À (roi), ajoutait-elle, se prendra à toutes les branches, à la bonne heure, mais ses sujets ont leur honneur à conserver... Il faut rester pur, droit et loyal, laisser faire les intrigants... » D'Antraigues, après un instant d’hésitation, céda à ses conseils. Sa mère, n'étant pas sur la liste des émigrés, se décida à rentrer, afin de revendiquer, sous le couvert de la législation en vigueur, ce qu'elle pourrait des biens-fonds de la famille. Elle se mit en route pour la France en février 1797. Quant à d’Antraigues, eût-il été élu, il eût probablement, après le 18 fructidor, suivi Pichegru en Guyane.
(1) Danu, Histoire de Venise, 4° édit., t. VI, p. 25.