Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

144 CHAPITRE QUATRIÈME.

De son côté, d'Antraigues avait réussi à faire passer à la légation d'Autriche une caisse contenant ses principales corr spondances ; il garda seulement trois portefeuilles, ne contenant — au moins il le disait et voulait le croire — que des ouvrages purement littéraires et les éléments de son travail courant (1). Quant à sa personne, il espérait être couvert jusqu'au bout par le pavillon russe. {1 n’écouta ni Campos, qui lui prédisail son arrestation imminente, ni Mordvinov, qui l'engageait avec insistance à partir seul et à se mettre en sûreté. À l'un et à l'autre il s'entêta à opposer les ordres de Louis XVIIL, et se dit prêt à mourir plutôt que d'abandonner son poste : « Qui sait, pensait-il, si l'on ne me tend pas un piège pour m'isoler et m'arrêter plus facilement? »

Le 15 mai, les Français étaient aux portes de Venise; on annonçait pour le lendemain l'occupation de la ville. Mordvinov fit demander deux passeports à la légation francaise. Avec six personnes, parmi lesquelles d’Antraigues et sa femme, il voulait gagner un pays encore aux mains des Impériaux; le reste de sa légation devait s'éloigner par mer, sur un bâtiment autrichien. Villetard envoya les passeports, en spécifiant qu'aucun d'eux ne pourrait servir au nommé d’Antraigques, « agent d’un émigré français imaginaire héritier de la couronne de France (2) ». Puis, se doutant bien que cette restriction serait regardée comme non avenue, il expédia à toutes les frontières, et à Trieste, occupée par le général Ber-

(1) D’Antraigues à Maury, 9 novembre 1798. (A. K., France, vol. 594.) — « Je dois croire qu'il a brûlé les écrits autres que les siens, car il me le mandait positivement le 6 mai. » (L'abbé de Pons au roi, 31 mai 1797. — A. F., France, vol. 610.)

(2) A. F., Venise, vol. 255, Ê 421.