Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
152 CHAPITRE QUATRIÈME.
mille écus que voici en lettres de change sur la maison Cambiaso de Gênes, peut-êire serez-vous employé à quelque ambassade. » Une assez longue dispute s’en serait suivie, d’Antraigues dédaignant jusqu’au bout les séductions et les menaces. On voit d'ici l'invraisemblance de ces allégations. Comment supposer qu'en vingt-quatre heures ces cahiers, remplis de lettres apocryphes, eussent été rédigés dans les bureaux de l’étatmajor, alors qu'on avait sous la main une pièce suffisante pour perdre Pichegru ?
Mais, d'autre part, qu'était-ce que cette pièce? Celle qui est venue de Monbello à Paris, et qui est aujourd’hui aux Archives nationales, comprend seize pages inquarto écrites au recto et au verso, plus trois lignes sur la dix-septième page, le tout à mi-marge, sans note comme sans rature, sans signature enfin, mais incontestablement de la main de d’Antraigues (1). Est-ce bien cellelà qui est venue de Trieste à Monbello? Bonaparte, le 1° juin, n'exhiba point la pièce accusatrice, je l’admets, il avait ses raisons pour agir ainsi; mais il est probable qu'il arracha à l'auteur l'aveu de son authenticité. Les jours suivants, dans l'entourage du général, cet aveu était considéré comme certain (2).
Seulement (el ici nous entrons dans le domaine de l'hypothèse pure) cette conversation se divisait peut-être en deux parties distinctes, l’une relative à Pichegru, l'autre à Bonaparte. D’Antraigues écrivait à son geôlier, le 12 juin, dans une lettre destinée à l'impression : « Dans ce roman rempli de rêveries, d’absurdités et de
(1) On peut constater de plus, à la troisième et à la cinquième page, la reprise d’une rédaction interrompue. (2) Bourne, Mémoires, 1. I.