Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

L'ARRESTATION. — LE PORTEFEUILLE (1797). 155

manuscrit de neuf pages, puis un opuscule de trente-trois (celui-ci pourrait bien être vraiment la pièce trouvée à Trieste), tantôt écrites à mi-marge, avec des annotations multiples et critiques de sa main (contradictions, faussetés, etc.), tantôt écrites sur trois colonnes, chacune contenant une version différente des soi-disant révélations de Montgaillard. Par ces affirmations contradictoires il espérait sans doute atténuer ou détruire aux yeux des royalistes la valeur de la conversation, faire douter de son importance ceux qui ne l'auraient point vue, et soupçonner de faux la seconde édition expurgée, qui était pourtant son œuvre (1). Celle-ci, qu’on n'avait aucun motif de cacher, traïnait sur la table de Bonaparte, où Bourrienne put la lire et en prendre copie.

Cette hypothèse d’une combinazione à l'italienne, de la substitution imposée et convenue d’une pièce à une autre, se fortifie pour nous, et du silence systématique qu'a toujours gardé Bonaparte sur la conversation, et de la conduite tenue par le chef d'état-major Berthier. Plusieurs fois à Sainte-Hélène, Napoléon a parlé de ses « longues conversations » avec d’Antraigues, où il se donne le beau rôle; mais des pièces manuscrites qu'il aurait saisies, et dont il aurait, à Monbello ou à Milan, demandé compte à son interlocuteur, pas un mot. Évidemment il avait intérêt à se taire sur elles, sur ce qu'elles contenaient relativement à lui, et sur la facon dont il les avait accommodées à ses vues avant de les faire passer aux mains de Barras.

Notons un dernier fait caractéristique. Sur les douze

(1) Remarquer ce qu'il écrit à Maury (1* septembre 1798) : « Ils en ont supprimé plus des trois quarts... On à composé snr cette pièce celle qu'on a imprimée. » (A. F., France, vol. 59%, fs 38% et suiv.)