Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

LA CAPTIVITÉ. 161

sait d'autrui. Le 13 juillet, Bonaparte aurait accueilli un nouveau mémoire qui lui était présenté par ces mots : « Allez vous faire f...; si vous écrivez encore, je vous f.. au cachot à la citadelle (1). » Quelquefois on répliquait à ses grossièretés par des impertinences. D'Antraigues se vante d’avoir dit que si l’empereur de Russie refusait ses services, il se ferait laquais de quelque bourgeois honnête, ce qui vaudrait encore mieux que de servir un des cinq Directeurs. Une autre fois, sous la menace d’être transféré à Paris, il se serait écrié : « Je: reverrai avec plaisir une ville que je considère toujours comme appartenant à mon roi. » En tout cas, Bonaparte pouvait écrire, le 3 juillet, au Directoire : « L’insolence. de cet homme est inconcevable; ilme menace presque de l'opinion en France, où il se croit le maître. » S'il dit ailleurs que d'Antraigues chercha à lui plaire, il avoue implicitement avoir su lui-même fasciner son interlocuteur, exciter sa parole par des confidences sans portée, tantôt en lui annonçant le triomphe de Barras comme inévitable, tantôt en se laissant croire favorable à une. restauration monarchique. Plus tard, il ne se souvenait plus que d’avoir voulu séduire son prisonnier ; et ce dernier, à son tour, en se remémorant leurs orageux entretiens, ne se rappelait plus que les injures et les menaces.

(1) D'Antraigues à Maury, 21 juillet 1798. (A. F, France,. vol. 59%.) — Dans le compte rendu de sa captivité adressé à Mordvinov, d'Antraigues raconte l'incident suivant d’une de ses visites à Mme Bonaparte : « Au milieu d’une de ces ardentes discussions, j'aperçus une porte presque cachée par un lit au fond de la chambre, et je vis M. Bonaparte se ravalant au rôle d’un espion surprenant lui-même les plaintes d'un homme qu'il voulait tôt ou tard faire égorger… Sa femme, étonnée, confondue... se: bornait à assurer qu'il n’était pas sanguinaire, qu’il ne voulait pas. ma mort... »