Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
162 CHAPITRE QUATRIÈME.
Une de ces entrevues faillit tourner au tragique. D'Antraigues, en désespoir de cause, avait pris le parti d’intéresser à lui ceux qui, en France, détenaient une portion de la puissance publique. Il rédigea à l’adresse de son compatriote Boissy d'Anglas, alors président des Cinq-Cents, une lettre où selon son habitude, s’abandonnant à sa verve, il faisait tourner la plaidoirie en accusation : « Avez-vous détruit les lettres de cachet, ou en avez-vous étendu l'usage sur les étrangers, sur ceux à qui cinq jours auparavant vos ministres accordaient garantie et passeport? Vos lois sur la liberté des personnes sont-elles un leurre dans la main du Directoire, comme vos passeports en sont un dans la main de vos ministres et de vos généraux? Enfin le code de vos lois est-il conforme à la déclaration de M. Bernadotte devant le ministre de Russie : que justice et raison ne font rien, qu'il s’agit seulement de la force? Quelle étrange liberté que celle qui, à la fois ombrageuse et timide, craint même les opinions et les écrits, qui va fouiller et briser les serrures des portefeuilles et y chercher les secrets des consciences pour voir si l’homme à qui elle a ravi état, propriété et patrie a pour elle des sentiments de haine ou de mépris!... Depuis Néron, je ne sache pas que personne ait décrété qu'on l’aimät (1)! »
Ces apostrophes véhémentes étaient destinées à la publicité. D’Antraigues mit des copies de cette lettre et de son mémoire du 4 juin dans un nouveau paquet à l'adresse de Fauche-Borel, avec recommandation d’imprimer le tout. Ce double dossier à destination de Paris et de Neuchâtel fut confié à un messager qui partait pour
(L) D’Antraigues à Boissy d'Anglas, 23 juin 4797. (A. N., AF II, #4.)