Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

LA CAPTIVITÉ 163

Mendrisio. Cet homme, quoique muni d’un passeport en règle, fut arrêté au sortir de Côme, non loin du territoire suisse: on le jeta en prison, son paquet fut envoyé à Landrieux, et au bout de deux jours transmis par celuici au général en chef (26 juin).

Celui-ci, à la vue de ces pièces, entra dans une violonte colère. Landrieux en fut la première victime et subit deux jours de prison pour son retard à informer ses supérieurs de l'affaire. Puis, voyant Mme d’Antraigues entrer chez sa femme, Bonaparte la reçut avec une sortie virulente contre ce scélérat, ce coquin qui récompensait ses bontés en le dénonçant, et qui osait parler de loi et de justice au milieu d’une armée. « Peutêtre demain à six heures votre mari sortira de prison, et je vous l’enverrai à onze heures avec dix balles dans le ventre. » La Saint-Huberty crut cette menace sincère, et, ramenée à ses instincts d’actrice tragique, elle jeta son jeune fils qui l'accompagnait au-devant de lui : « Pourquoi ne le joindriez-vous pas à son père? N'’est-il pas mür pour cette boucherie?» Et tandis que l'enfant éperdu s'attachait en criant à la botte du général : « Quant à moi, ajouta-t-elle, je vous conseille de me faire fusiller, car je vous assassinerai partout où je pourrai. » À ces cris Mme Bonaparte accourut, l’entraîna dans une pièce voisine et, l’embrassant, essaya de la calmer. La SaintHuberty lui raconta ce qui venait de se passer, et Bonaparte la rejoignant, elle reprit ses invectives : « Vous m'aviez dit Robespierre mort, madame, le voilà ressuscité. Il a soif de notre sang, il fera bien de le répandre, car je vais à Paris et j'y obtiendrai justice. »

Factice ou non, la colère de Bonaparte était déjà tombée; il s’avisait que la mort de son prisonnier lui était inutile, et qu'elle pourrait lui nuire, si la lutte qui