Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

LA CAPTIVITÉ. 165

Carnot, retenu par des scrupules de légalité, resta inerte, mais néanmoins voyant dans la séquestration illégale de d'Antraigues un moyen de nuire à Bonaparte, il expédia à Neuchatel deux passeports, dont la mère et la femme du prisonnier devaient user pour venir à Paris implorer le transfert de leur fils et mari au Temple. Déjà la vieille comtesse d'Antraïgues, qui avait quitté Rome en route pour la France, s'était arrêtée à Turin, attendant le moment favorable.

Pendant ce temps, d’Antraigues, pour occuper son temps et sa plume, rédigeait le journal de sa captivité; il recueillait des observations sur Bonaparte, son caractère et ses projets, sur l'esprit des officiers, sur la diseipline de l’armée. IL comptait les hommes dévoués ou secrètement hostiles au général en chef; et, épiant de celui-ci les moindres paroles, notant tout ce qui pouvait déplaire dans ses origines, ses habitudes, jusque dans sa physionomie, il terminait le portrait qu'il traçait de lui par ces mots prophétiques : « Il détruira Barras ou l’asservira.… (Il) veut maîtriser la France et par la France l'Europe (1). »

Déjà, pendant son passage à la citadelle, il avait cherché à surprendre les opinions et les dispositions de ses gardiens. Les officiers jacobins ne lui cachaient pas leur satisfaction de le savoir à leur merci. D’autres épiaient l’occasion de lui témoigner leurs sympathies secrètes. Quelques-uns, voyant à sa porte une sentinelle en qui ils avaient confiance, vinrent, à ce qu'il raconte, s’entretenir

(1) Ce portrait de Bonaparte est jeté, par voie de digression, au milieu de la longue relation que d'Antraigues a rédigée de sa captivité, et qui porte la date du 31 octobre 1797. (A.F., France, vol. 634, p. 126-144.) Il a été imprimé dans June, Bonaparte et son temps, t. HI.