Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
170 CHAPITRE QUATRIÈME.
fensive les soldats qui le gardaient (1). D'Antraigues dut bien, comme Russe, donner sa parole d'honneur de ne pas s'évader; mais il protestait aussitôt de n'avoir pas agi librement, et regardait cette promesse comme illusoire. Bientôt il put, le 14 juillet, entendre de loin les harangues jacobines des généraux; il se laissa dire qu'un coup d'État révolutionnaire était imminent à Paris, et qu'il serait, après le triomphe de Barras, transféré en France, déporté peut-être ensuite à Rochefort et en Guyane. Il songea dès lors à fuir. Les circonstances étaient favorables; le général en chef étant absent, il n'était plus surveillé que d'une facon nonchalante et intermittente par des agents dont Kilmaine, son ami secret, n’écoutait même pas les rapports. Néanmoins il prépara et accomplit son évasion comme s’il eût été sévèrement gardé et eût couru, en s'échappant, risque de la vie.
Le 29 août au soir, il s’enferma dans sa chambre et la Saint-Huberty employa sa vieille expérience d’actrice à le déguiser et à le rendre méconnaissable. Affublé d'une soutanelle et d’une perruque ecclésiastique, des lunettes sur le nez, la barbe longue et la figure barbouillée de bistre, il dit adieu aux siens avec une sensibilité exaltée par la peur. « Traversant seul, a-t-il écrit, les vastes appartements du palais, je sortis sans avoir élé aperçu, el je trouvai devant la petite porte du jardin mon fidèle guide. Nous partons, je passe devant la garde des charrois militaires qui gardait aussi ma maison. Elle ne me reconnut ni ne me regarda. Les portes de Milan ouvraient à cinq heures, mais il m'avait fallu sortir à
(4) Vignolles à Berthier, 2 août (15 thermidor). (Archives de la guerre.)