Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
L'ÉVASION. — LA DISGRACE. 15
à en douter, disait-il, c’est ce papier maudit qui a perdu Pichegru et ses amis ».
D'Avaray jugea cetle fois l’homme qu'il détestait pris au piège, coupable en tout cas d’avoir fait manquer la restauration, et envoyé en Guyane les meilleurs serviteurs du roi. Peut-être aussi avait-il connu certaines lettres adressées jadis par d’Antraigues à Montgaillard, où il était personnellement très maltraité. Il s'empressa de « casser le col » à ce rival éventuel, comme il l'avait fait à Puisaye et à La Vauguyon. D'Antraigues, vint-il dire à Louis XVIII, vous a menti en affirmant n'avoir livré aucun papier compromettant; antérieurement il confessait au public tout le contraire. À Trieste il à gardé dans son portefeuille, avec une légèreté inconcevable, alors qu'il mettait en sûreté ou détruisait tant de papiers importants, une pièce dont le secret était celui de tout le parti royaliste (1) : « Ou il mérite les petites maisons, s'il a été capable d'une telle imprudence, ou il mérite la corde s’il a livré ce secret pour se tirer d'affaire (2). »
Ce dilemme de d’Avaray et de Mallet du Pan nous semble résumer la question. D'Antraigues a laissé tomber entre les mains des républicains le récit de ses entretiens avec Montgaillard, par étourderie, en l'oubliant au milieu de papiers inoffensifs, ou par une inconcevable erreur de jugement qui ne lui laissait voir dans cette pièce qu'une œuvre d'intérêt rétrospectif et quasi littéraire. Il a payé cher cette imprudence ou cette erreur, qu'avec son amour-propre indomptable il n'a jamais
(1) Ce sont là les deux griefs spécifiés par Louis XUIIT dans sa lettre à d’Antraigues du 24 février 1798, et développés par Courvoisier dans une consulfation spéciale qu'il rédigea par ordre. (A. F., France, vol. 59%, fes 178 et 395.)
(2) Marzer nu Pan, Mémoires et correspondance, t. IL, p. 321.