Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
A VIENNE. — RAZOUMOVSKI, CHAMPAGNY (1800-1802) 203
Ja seconde période de sa vie d'émigré, ce qu'avait été Las Casas dans la première. Peut-être l’avait-il vu à Paris vingt ans auparavant; en tout cas, il devait lui plaire par ses sentiments comme par la singularité de sa vie. IL y avait en lui de l’aventurier et de l'homme a bonnes fortunes, autant que du diplomate et de l’homme d'État. Il avait exercé de hauts emplois dans son pays, y avail été condamné à mort pour crimes politiques, puis réintégré dans ses honneurs après un exil en Russie. Il venait en Allemagne représenter un prince qui, seul entre tous, n'avait pas encore fléchi devant la France.
A côté de ce grand seigneur figure, parmi les nouvelles connaissances de d'Antraigues, un professeur, un écrivain que l'ambition, le goût des honneurs disputaient à la littérature et à l’esprit de société, Jean de Müller. Ce Suisse de Schaffouse, salué depuis par ses compatriotes du titre d’historien national, était attaché un peu ad honores à la chancellerie d'État, et allait devenir directeur de la bibliothèque impériale. Également familier avec la culture française et avec la culture germanique, ce demeurant du dix-huitième siècle miten commun avec l’ancien ami de Jean-Jacques et l'adversaire de Bonaparte ses goûts littéraires et ses haïnes politiques. Il lui rendit de près les services que Vannelet rendait de loin. Jean de Müller était un des yeux par lesquels le correspondant de Paul I® lisait sur la table des ministres autrichiens. Dans ses propos et ses lettres, il se posait en Romain d’autrefois en face des faux Romains, tribuns ou consuls, de Paris, et il dissimulait tant bien que mal, à côté de vices rappelant par son plus mauvais côté l’ancienne Grèce, les instincts fameliques de l'Allemand. Entre eux, Müller et d’Antraigues s’estimaient de grands hommes méconnus, assujettis à des tâches au-dessous de leur génie, et ils