Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
216 CHAPITRE CINQUIÈME.
C'était surtout de cette dernière ville qu'il tirait les meilleurs moyens de se faire écouter à Pétersbourg, car Posuel et Jean de Müller continuaient à lui livrer les secrets de l'ambassade française et de la chancellerie autrichienne. Par Posuel il avait connaissance non seulement des pièces échangées entre Champagny et Talleyrand, mais de celles qui allaient de Constantinople à Paris par la voie de Vienne. Il avait même réussi à saisir au passage les lettres que Laforest, ministre de France à Berlin, écrivait à Champagny, ainsi que les réponses. Il s'était logé dans une vaste maison à deux issues où il était difficile, à cause du nombre des locataires, de surveiller les entrées et les sorties ; deux jardins isolés servaient à ses rendez-vous avec les courriers qu’il avait gagnés, et dont il dépouillait les dépêches au passage. Un jour, un de ses courriers n'ayant pu par hasard faire relais à Dresde, il le rejoignit de nuit à Meissen; et après avoir passé là deux heures, il regagna son domicile le lendemain, en prenant la précaution de rentrer en ville à pied et à pas comptés comme s’il fût revenu de quelque promenade (1).
De sa correspondance confidentielle avec la chancellerie russe, la partie originale est peu intéressante, car elle relate des commérages sans portée ou développe des plans chimériques; elle ne valait à son auteur aucune considération, et était simplement tolérée. Ce qui Ja rendait précieuse, c'étaient ces analyses ou extraits dérobés par avance aux archives autrichiennes ou francaises, qui en nourrissaient les meilleures pages. On pensait récompenser suffisamment d'Antraigues en accueil
(1) D’Antraigues à Czartoryski, 9 février 480%. (A. F., France, 633.)