Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

222 CHAPITRE CINQUIÈME.

guerre sans moyens, ou à la honte de céder à Bonaparte. Dans les deux cas, il vous voit attaqué aisément et avec avantage dans l’opinion de l’empereur... (1) »

C’est ainsi que d’Antraigues, sous le coup des nécessités du moment, sacrifiait son protecteur de la veille au protecteur présent; il sentait que, Czartoryski disparu, tous ses moyens lui manqueraient à la fois; il serait mis à l'écart, trop heureux encore s’il pouvait, à la faveur d’une pension de retraite, oublié dans quelque ferme de Courlande, revenir aux sciences, à l’histoire, à quelqu'une de ces recherches spéculatives qu’il n’eût jamais dû quitter!

En effet, l’infernale politique le tenait alors plus que jamais rivé à une chaîne dont il pouvait, d’un moment à l’autre, oublier ou sentir tout le poids. Un jour il était recherché comme une puissance par des hommes d'État, même par des souverains. En 1803, Armfelt venait lui proposer une entrevue avec Gustave IV qu’il dut d’abord, et par ordre, décliner. L'année suivante, les: circonstances avaient changé; le roi de Suède vint à Dresde, s'aboueha avec lui, et en fit devant le publie son confident et son conseiller intime. Au lendemain de ces bonnes fortunes politiques, l'interlocuteur des têtes couronnées était réduit à des métiers clandestins et subalternes ; il déchiffrait des papiers soustraits, ou les soustrayait lui-même. Ainsi il faisait inviter à diner chez un ami certain messager équivoque de passage à Dresde; à la faveur de cette absence, il s'emparait de son portefeuille, en examinait toutes les pièces, puis remettait le

(1) Gette lettre de d’Antraigues a été imprimée dans BRÜCKNER, Matériaux d'une biographie du comte Panine (Saint-Pétersbourg, 1888-1892), t VII, p. 76-81.