Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
L’'AMI ET L'AMIE DE PARIS. 229
désintéressé, il tenait à garder en haut lieu une influence utile à la conservation de sa fortune, et non seulement pe voulait rien recevoir du cabinet russe, mais tenait à n'être pas connu de lui (1). Soit prudence vulgaire, soit honte secrète, il ne négligeait aucune précaution de nature à dissimuler son rôle. Dès que les circonstances lui paraissent périlleuses, comme à la veille de l’arrestation de Moreau, il supplie qu'on ne lui réponde plus. Il proteste à son ami que s’il lui savait la moindre relation avec les princes français et leurs agents, il cesserait aussitôt toute correspondance. Il croit que certaines parties de ses lettres n'arrivent pas jusqu'à Pétersbourg, et que ses récits sont transmis seulement en analyses. Il lui arrive de spécifier les détails et les faits qui ne doivent pas être communiqués à Czartoryski; aussi, parlant de l'abondance du cœur, laisse-t-il passer çà et là des notions sur lui-même, propres à trahir son incognito (2). L’intermédiaire oubliait ces recommandations et ces confidences personnelles, il transcrivait sans choix tout ce qu'il avait reçu. Il semble qu'il eût voulu, en se montrant plus exact que discret, dissiper certaines défiances que son caractère connu autorisait.
On l'avait d'abord soupconné de mettre dans les bulletins parisiens quelque peu de son imagination, et
(1) « Get homme ne recoit, ne recevra, ne veut rien et nous a déclaré qu'il ne voudra jamais rien de l’empereur de Russie. Sa fortune est de près de deux millions, et, dès lors, il est aisé de concevoir sa modération. » (D’Antraigues à Czartoryski, 3 mars 180%.)
(2) « Ceci est pour vous et ne doit point parvenir au prince Czartoryski. » (Lettre du 19 février 1805.) Il ne veut pas (lettre du 31 mai 180%) que d’Antraigues transmette en Russie les détails de la conspiration Pichegru-Moreau, qui ne regardent nullement ce pays.