Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
230 CHAPITRE SIXIÈME.
on le lui avait fait entendre poliment. À plusieurs reprises, Czartoryski lui annonce que l’empereur lit ses lettres avec intérêt et satisfaction; mais un jour il ajoute qu'on y trouve des informations empreintes d'une exagération évidente. Aussitôt d'Antraigues de protester : « J'ai souvent eu envie de les remanier... Cela m'eüt été fort aisé et très agréable, mais je ne me le suis pas permis (1). »
Il est singulier qu’en trahissant ainsi son correspondant par un soi-disant scrupule de conscience, il ait tenu en même temps à le protéger contre d’indiscrètes démarches. Au printemps de 1805, Czartoryski, près d'envoyer Novosiltsov traiter avec Napoléon, voulut lui ménager une entrevue avec son mystérieux auxiliaire. D'Antraigues annonça qu’il ferait les ouvertures nécessaires, mais que sans doute celles-ci n’aboutiraient pas. La négociation, si elle fut tentée, ne fut pas suivie d'effet, Novosiltsovu s'étant arrêté en route, à Berlin (2).
Ce n'est pas là le seul cas où la curiosité intéressée de Czartoryski ait été mise en défaut. Il arriva au jeune ministre de faire poser des questions à l'ami de Paris : Le consul de France à Moscou, Lesseps, n'est-il pas un agent politique secret? Le ministre prussien Lombard n'a-t-il pas révélé à Bonaparte les ouvertures secrètes faites à Berlin par la Russie? Ne pourrait-on obtenir une page de l'écriture du drogman Fonton? Et ses demandes, tantôt ne sont pas transmises, tantôt ne reçoivent aucune
(1) D'Antraigues à Czartoryski, 2 mars 180%. (A. F.) ;
(2) Gzartoryski à d’Antraigues, 2 avril 1805. — D’Antraigues ï Czartoryski, 6 mai. (A. P.) — La première de ces pièces à été depuis communiquée par le destinataire au gouvernement anglais ; on en trouve un extrait (en anglais) au Record Office, France, vol. 87