Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

232 CHAPITRE SIXIÈME.

D'Antraigues recevait d’une autre source des informations d'un caractère moins grave, curieuses pourtant, sur la société et la cour consulaires. En septembre 1802, celle qui avait failli l’épouser douze ans auparavant rentra avec lui en relations épistolaires. N'étant pas sortie de France, elle avait conservé sa fortune presque intacte. Au moment où le délai pour profiter de l'amnistie accordée aux émigrés allait expirer, elle offrit à son ancien adorateur de négocier pour lui sa rentrée. D'Antraigues savait d'avance l’inutilité de semblables démarches, et, en remerciant cette amie fidèle, il la pria de lui écrire tout ce qu’elle jugerait intéressant à faire connaître. La dame accepta, sous la seule condition que la légation russe de Paris ne serait point au fait de sa correspondance; en revanche, comme elle connaissait l'ami, elle s'arrangea de façon que ses lettres servissent de complément à celles du vieux bureaucrate. À lui les révélations politiques, à elle les anecdotes de salon, les commérages élégants, la chronique intime de cette société hybride qui allait former la cour du nouvel empereur. Bons mots d'autrui ou conseils personnels, elle je tout au hasard dans ses lettres, qu’elle écrivait à la diable, avec la pensée que quelques-uns de ses récits amuseraient l'empereur de Russie.

Remariée depuis plusieurs années, elle avait sous son nouveau nom un accès journalier auprès de Mme Bonaparte, et semble être une de ces dames peintes par Mme de hémuat, qui fréquentaient volontiers le rez-de- chaussée des Tuileries, sauf à paraître ignorer qu’au pr emier étage vivait le maître de la France. Elle avait ainsi accès, mais fortuitement et irrégulièrement, auprès du Premier Consul. Elle ne l'aime ni ne le hait, mais le supporte comme le garant de la paix publique et de sa sécurité person-