Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
236 CHAPITRE SIXIÈME.
la loyauté et l'honnêteté telles qu'on les comprend en tous pays. Ceux qui, eu égard à la différence des temps, hésiteraient à prononcer le mot de trahison ne nieront pas l'abus de confiance. Au début de ce siècle, lorsque l'idée de la France supérieure aux partis n’élait pas acceptée de tous, la délicatesse de conscience en fait de patriotisme était inconnue aux hommes qui avaient fraversé, {antôt dans un camp, tantôt dans un autre, au gré de leurs intérêts ou de leurs affections du moment, les crises successives de la Révolution; et, même après l'essai méritoire de pacification et d'union tenté par le Premier Consul, il se trouva des esprits mal faits et hardis pour découvrir et saper les côtés faibles du nouveau régime, pour combattre, sans affectation trop prononcée de royalisme ou de républicanisme, l'oppression de la France par Bonaparte, l'oppression de l'Europe par la France. Ceux-là s’inspiraient de l'esprit philosophique en vogue dans la génération précédente, et quelquefois de sentiments moins avouables. Ce que l'ami de Paris faisait par intermédiaire et secrètement auprès d'Alexandre, son patron Talleyrand le faisait, quatre ans plus tard, presque ouvertement à l'entrevue d'Erfurth. Pour ne point aimer Napoléon, Benjamin Constant, Moreau, Pozzo di Borgo se croyaient quittes de tout devoir envers la France. Ce patriotisme à outrance qui est devenu, et il faut nous €P féliciter, la loi de nos générations, s'effaçait à leurs yeux dès qu'il contrariait leurs conceptions ou leurs animosités politiques, et, s’ils lisaient Corneille, ils préféraient au vieil Horace Cinna s’écriant :
La perfdie est noble envers la tyrannie.
Ils trahissaient en paroles, en attendant mieux. Il est malheureux pour leur mémoire qu'en définitive ils aient