Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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rêter et l’invita à trinquer. Les artistes furent relâchés sur l'heure, avec injonction à Chénard de revenir dîner tous les jours, accompagné de ses camarades. C’est ce qui s’est fait pendant plusieurs mois. — Il faut entendre et voir Chénard mimer cette scène avec sa verve spirituelle, pour en sentir le piquant. C’est une remarque curieuse à faire que de noter le rôle du vin et de l’eau-devie dans les épisodes révolutionnaires. Les auteurs réservés et impartiaux de l'Histoire de la Révolution française par deux amis de la liberté (1) y font allusion, en parlant des massacres de Septembre. Ils citent l'exemple d’un commissionnaire qui, depuis vingt ans, stationnait rue des Noyers, au coin de la rue Saint-Jean de Beauvais. Cet homme était connu et estimé dans le quartier; on lui confiait sans crainte l'argent et les paquets les plus précieux. Au 3 septembre il disparut subitement : on apprit qu'il avait été entraîné du côté de Saint-Firmin et enrôlé parmi les égorgeurs. Après une absence de six jours, il reparut à son poste habituel, mais il était atteint d’un tremblement général des membres et se plaignait d’une soif inextinguible. On lui donna à boire tant qu’il voulut, sans que sa soif pût être calmée et sans qu’il tombât jamais en état d'ivresse. Un mois après son retour, il mourait et n'avait pas dormi une minute depuis septembre. Il disait souvent : « On m'a fait boire là-bas quelque chose de bon; aussi j'ai bien travaillé : j'ai tué plus de vingt prêtres! » « J'ai soif! » n’a-t-il cessé de répéter jusqu'à son dernier moment. (Page 296, vol. VIII, édition in-12.)

(1) Par Kerverseau et le libraire Clavelin, et continuée à partir du septième ou huitième volume par Lombard, Lériguet, Coignart de =Mailly et Beaulieu. Paris, 1791-1803, 20 vol. in- 8: et Paris, 17921803, 19 vol. in-12.