Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

40% UN HIVER A PARIS

vrai que j'étais arrivé un peu tard et que le nombre des abonnés dépasse notablement celui des places. Une symphonie de Haydn — le morceau capital — dont l’adagio interprété avec un sentiment très juste m’a vivement touché ; un concerto de violon de Kreuzer, admirablement enlevé par l’auteur; un concerto de violoncelle de Romberg, joué magistralement par lui-même, formaient la partie instrumentale de la séance.

Garat, après s’être fait longtemps prier et avoir exigé de gros honoraires, à bien voulu se laisser entendre. En l’applaudissant avant même qu’il eût ouvert la bouche, le public m'a paru témoigner surtout sa satisfaction d'avoir vaineu la résistance du chanteur. Garat a dit une scène italienne de Nasolini, un air de la création de Haydn et une chanson comique provençale : tout du même style, avec surabondance de vocalises et de gestes maniérés. Cette façon d'interpréter la musique n’était appropriée qu’à la chanson. Garat l’a chantée admirablement; je l'aurais entendue dix fois de suite sans m'en lasser. Ce qui est à sa place et dans le ton fait toujours plaisir. Rien au contraire n’est plus choquant que l'artiste qui applique indistinctement sa manière aux morceaux de caractères différents.

— La dernière grande parade dans la cour des Tuileries et l’audience du Premier Consul se sont passées sans incidents notables. Bonaparte a reçu une foule de pétitions et s’est montré particulièrement populaire. Il a distribué aux soldats un nombre exceptionnel d'armes d'honneur, jusqu'à « des baguettes » à un tambour! — Il court, au sujet de ces distributions d'armes, une anecdote où l’on fait jouer un rôle à Moreau. On raconte qu'à un diner chez lui, certain plat servi dans une casserole d'argent eut un tel succès que Moreau fit comparaître son chef et