Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

406. UN HIVER À PARIS

nant le dos à la cheminée; il relève les pans de son habit, écarte les jambes et se rôtit de son mieux, en faisant sortir invariablement des bouffées de fumée. Si le personnage est un « incroyable », il ne s’en tient pas là. Confortablement réchauffé, il se retourne vers la glace qui surmonte la cheminée etrépare le désordre de sa toilette : d’un coup de main, il redresse son toupet, tire les pointes de son col, arrange l’ample cravate qui monte jusqu’au menton. Puis il caresse ses longs favoris noirs, jusqu’à ce que leurs extrémités rejoignent les coins du col. Cela fait, il ouvre la bouche, montre ses dents, qu’il a généralement fort belles, et les polit soigneusement avec les ongles de la main gauche, qui ne sont pas moins polis et luisants que sa denture. Tous ces manèges s’exécutent avec un sérieux, une aisance que rien ne trouble, et n’empêchent nullement l’ « incroyable » de prendre part à la conversation.

Avant de terminer, en disant un mot des théâtres, je veux mentionner un divertissement nouveau dont on s’occupe fort; cela s’appelle le « jeu de la guerre » : c’est une invention de Cramer (1), qui a même publié un opuscule à ce sujet et qui fait chez lui des conférences auxquelles assistent beaucoup d'officiers. Il a eu l'honneur de recevoir, ces jours-ci, la visite du général Moreau, accompagné de ses aides de camp, et de lui expliquer, pendantune heure, ses combinaisons stratégiques. Moreau a fait quelques observations en homme du métier, et les aides de camp ont également parlé en gens compétents. Je remarquerai à ce propos que, parmi les officiers dont

(1) Ch.-Frédéric Cramer, né à Kiel, mort à Paris en 1808; littérateur érudit, caractère original, imprimeur. Il a été rédigé un Précis des règles du jeu de la guerre par Helwig (1804, in-12), qui a échappé à nos recherches.