Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

UN HIVER A PARIS SOUS LE CONSULAT, 409

romantique allemand; au Vaudeville enfin, Arlequin en très bonne veine. J’allais oublier la bonne fortune de la rencontre avant-hier, dans la galerie du musée, de Kemble, le célèbre tragédien anglais; j'ignorais qu'il fût à Paris. Je l'ai reconnu de prime-abord pour avoir vu, à Hambourg, un bon portrait de lui peint par le Français Monnier. Si je me souviens bien, il y est représenté en Coriolan; la ressemblance ne m’a pas trompé. Sa tête est magnifique, d’une expression plus ouverte, plus animée, plus noble que celle de Talma. De stature plutôt petite qu'élevée, il me semble avoir un peu trop d’embonpoint pour les rôles héroïques. Sa conversation est vive, gaie, accentuée. La foule au milieu de laquelle nous nous sommes rencontrés ne m'a pas permis d’avoir avec lui une conversation prolongée. J'aurais désiré connaître son opinion sur l’état actuel des théâtres parisiens. On m'assure qu'il a déclaré Brunet, de Montansier, le premier comédien de Paris.

Mme Lebrun doit partir ce printemps pour Londres; ses amis ont considéré sa fête comme soirée d'adieu; sa réunion a été des plus attrayantes. Elle avait fait disposer un théâtre dans une grande salle à colonnes, garnie de tapisseries de haute lisse, qui a servi de galerie de tableaux; deux cents personnes s’y tenaient à l'aise. A huit heures, les portes avaient été fermées; le rideau allait se lever, lorsque l’on introduisit Delille, vieil ami de Mme Lebrun, attendu avec impatience. Il a été touchant de voir le poète aveugle présenté par l’aimable maîtresse de maison aux princesses et princes de l’assistance; elle l’installa ensuite, au milieu des plus jolies femmes, dans un fauteuil du premier rang.

On a joué la jolie bluette de Florian, Les deux billets, Crispin rival de son maître de Lesage, et une comédie plus