Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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sérieuse dont j'oublie le nom. Les acteurs de circonstance se sont fort bien tirés de leurs rôles; on a surtout applaudi un artiste qui a été en Russie avec Mme Lebrun : depuis longtemps, je n’ai vu un aussi gracieux Arlequin ni un Crispin plus divertissant. Vigée et sa femme ont plutôt parfaitement déclamé que bien joué. La comédie a été suivie d’un bal où l’élégante société étrangère était en majorité.

Quelques jours avant, l'acteur Laporte (1) m'avait fait voir, au Vaudeville, une autre incarnation d’Arlequin. Son jeu est ingénieux et piquant, mais la faiblesse de son organe lui donne quelque chose de haletant et de pénible. La pièce dans laquelle il a paru, les Deux Arlequins, ou Colombine rivale, de Dubois et Chazet, ne fait pas honneur aux dramaturges, malgré quelques couplets bien troussés. Arlequin pourchassé par ses créanciers, réduit à se cacher,

Prisonnier par la raison Qu'il craint d'aller en prison,

pouvait les inspirer mieux. La collaboration des vaudevillistes, qui se généralise, n’aboutit souvent qu’à des rapiéçages médiocres.

En revanche, Venceslas m'a procuré une bonne soirée; c’est une des meilleures représentations des Français données depuis mon séjour. Talma, tout à fait à sa place dans le rôle de Ladislas, est énergique et naturel dans les scènes de passion violente et d’orgueil indomptable, de fureur concentrée et de repentir. Monvel, malgré sa voix

(1) Rosières de Laporte, le meilleur Arlequin paru sur la scène depuis le fameux Carlin (Charles Bertinazzi, 1713-1783), de la Comédie-Italienne. Fils d'un acteur, Laporte se destinait au barreau, quand son frère fonda le Vaudeville avec de Pis et Barré. Il débuta en janvier 1792; dans l'espace de vingt ans, il a créé plus de cent cinquante rôles d’Arlequin.