Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 411

cassée et sa bouche édentée, s’est montré digne et émouvant dans le personnage du vieux roi affaibli par les années, Sa prononciation défectueuse, souvent indisüncte, m'a fait lire la pièce, après la représentation. Les vers raboteux, mais énergiques, du contemporain de Corneille m'ont causé un sensible plaisir. Bien qu'aucune des jeunes reines de la tragédie n’ait paru, les rôles de femme ont été convenablement tenus par Miles Volnais et Bourgoin. Le public, assez nombreux, a été impressionné par la chaleur et la vérité du drame, sans trop remarquer les défauts. « Comment se fait-il, dit à ce propos Geoffroi dans son feuilleton, que les essais informes de la tragédie du temps de Louis XIII aient produit et produisent autant d'effet sur le public que Zaïre, Mérope, Mahomet et les autres chefs-d’œuvre de la scène française? Le goût délicat et cultivé dont on fait si grand fracas ne serait-il donc que le privilège de quelques désœuvrés raffinés? N’approfondissons pas les mystères. On risque de devenir hérétique à force de les creuser! »

Le lendemain (1), il y a eu plus de monde pour entendre Mlle Duchesnoïis jouant Hermione; j'ai trouvé grand plaisir à l'écouter. Sa voix, flexible et pleine de charme, rend avec le même bonheur le gracieux et le pathétique; sa déclamation est parfaite, peut-être trop étudiée ; son geste est marqué d’un véritable cachet artistique. Elle est élégante de sa personne, mais il ne faut pas voir son visage de près. J'ai eu la mauvaise inspiration de la.fixer avec ma lorgnette : elle n’est pas simplement laide, elle est affreuse ! On se demanderait comment elle a pu lutter un instant avec Mlle Georges, si admirablement belle, si l’on ne savait ce qu’est au théâtre la force d’une cabale.

(1) Lisez : trois jours après (le 12 mars).