Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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Les lettrés et les artistes sont loin du bien-être dont je les ai vus jouir précédemment; je m'en aperçois à divers indices. Autrefois, à la première visite, on était invité à dîner et l'on prenait jour; maintenant, les invitations sont rares, aussi bien pour les étrangers que pour les confrères. Le renchérissement de toutes choses, provoqué par les prodigalités des « nouveaux riches », que chacun veut imiter dans sa sphère, rend à peu près impossibles ces réunions dont la frugalité n’excluait pas l'agrément. A part Laplace, Fourcroy, Lalande et un petit nombre de savants, pourvus de situations largement rémunérées, je ne vois personne dans ce monde qui soit en mesure de pratiquer l’hospitalité. Et dans le nombre de ceux qui le pourraient, il en est peu ayant la libéralité de Lalande. Parmi les artistes, David est seul à passer pour riche. Mais il est d’un caractère insociable, sans relations; il a d’ailleurs une nombreuse famille à pourvoir.

Depuis que la fin du carnaval me donne plus de liberté pour les soirées, je fréquente les restaurants à la mode, en m'aidant de l'expérience de quelques compatriotes établis de longue date à Paris. On y mange aussi bien qu'aux tables particulières les plus recherchées et l'on choisit son menu à sa fantaisie. On paye cher, il est vrai; mais si l’on met en ligne de compte les frais de voiture et de toilette, la longueur mortelle de ces repas priés, il y a profit du côté des restaurants. S*** m'a mené dans un établissement renommé pour le poisson de mer et les huîtres. Nous nous sommes attablés dans un cabinet particulier, où nous avons si bien apprécié la cuisine et le vin de Graves supérieur, — quatre francs la bouteille, si bien bavardé à cœur ouvert, qu’à dix heures sonnées,

nous nous sommes aperçus que nous n'avions pas pris le café. Nous étions à table depuis six heures! Le garçon