Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 193

dont l’aîné des Ségur nous a lu quelques fragments chez la princesse Dolgorouki.

Au Panthéon, j'ai fait l'ascension du dôme, afin de jouir du panorama sur Paris et ses environs. On dit que l’on a constaté des vices graves dans les fondations; il existe en effet de grandes crevasses dans la partie centrale, et des étançons ont été posés à l'entrée; il serait vraiment regrettable que ce bel édifice fût menacé. Dans la crypte, on voit les monuments funéraires de Voltaire et de Rousseau; ce sont de simples projets en bois : le premier a la forme d’un sarcophage antique, le second est insignifiant. Avec le courant actuel des idées, je ne pense pas que l’on songe de sitôt à l'exécution définitive. Les restes de l’infâme Marat, qui ont souillé pendant quelque temps le voisinage de ceux de Voltaire, sont restés à leur place, la voirie.

Pendant que je visitais le Panthéon, les réflexions que j'ai faites souvent sur le tort causé à l’Europe par la méchanceté des hommes qui ont détruit les espérances qu'avaient fait naître les beaux débuts de la Révolution, me sont revenues en foule à l’esprit. Pourquoi la nation n’a-t-elle pas été assez sage pour se contenter d’une monarchie constitutionnelle? Pourquoi n’a-t-elle pas consacré son énergie au développement de l'instruction publique, des arts, à l'édification de monuments nationaux conçus dans l'esprit qui animait les Romains et les Grecs, au lieu de gaspiller, comme elle a fait, ses ressources matérielles et morales? Quel exemple fortifiant n’eût-elle pas donné à toute l’Europe! Les tentatives généreuses ont avorté; la passion des réformes utiles est morte; on reste sans goût, sans énergie, pour les nobles entreprises durables! Je ne parviendrai à chasser ces réflexions que lorsque je serai rentré dans le calme dont