Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

42% . UN HIVER A PARIS

on a le bonheur de jouir chez nous. Ici, à chaque pas, je rencontre des motifs de regrets; la musique et le théâtre réussissent seuls à me distraire.

Parlons donc théâtre.

Il ÿ a préliminaires de paix entre Mlle Georges et Mlle Duchesnois. Le Journal de Paris les annonce en ces termes : « Mile Raucourt, lasse d'entendre dire à ses ennemis que l'emploi des reines convient mieux à Mile Duchesnois qu'à Mlle Georges, vient de proposer au nom de celle-ci l’arrangement suivant : que l'élève du citoyen Legouvé renonce entièrement à l'emploi des grandes princesses, pour lequel on lui a inspiré tant de répugnance, ‘élève de Mile Raucourt renoncera également à celui des reines, dans lequel elle excite tant de jalousie; ces deux demoiselles feront ainsi un troc de tous leurs rôles sans exception, et la générosité de celle qui cède volontairement un trône, à la seule condition que sa rivale y monte pour n’en plus descendre, fermera sans doute la bouche aux clabaudeurs. Cet arrangement est, en ce moment, soumis à la décision de l'autorité. » C’est sans doute par suite de cet accord que Mlle Georges s’est montrée dans Didon (1), afin de prouver qu’elle n’est pas dépourvue de ce « sentiment » dont on veut faire le privilège de sa rivale. Elle a abusé des sanglots, des soupirs, des pâmoisons, des mains se tordant de désespoir ou cachant le visage. Ces contorsions m'ont paru d'autant plus désagréables, qu'elles contrastaient avec les côtés nobles et

fiers du rôle que la jeune tragédienne interprétait parfai-

tement. Ses costumes étaient splendides ; on prétend que toute la famille Bonaparte contribue à sa toilette! — Les rôles secondaires, et ils le sont tous dans cette pièce, à

(1) L'unique tragédie (1734) restée au répertoire, de Lefrane, marquis de Pompignan, membre de l’Académie française.