Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT, 425

l'exception de celui de l’infortunée reine de Carthage, ont été médiocrement rendus : Lafon-Jarba, supportable, mais toujours larmoyant; Damas, excessivement faible dans le pieux Énée.

Je me serais peut-être endormi aux deux petites pièces : l'Amant bourru (1) et la Coquette corrigée, sans le jeu supérieur de Mlle Contat (2). Il faut dire que j'avais fait une longue promenade avant le dîner. Sorti de bonne heure avec un ami, j'avais l'intention d’aller au Corps législatif entendre le disert Portalis. Sur la place Louis XVI (3), que les cochers de fiacre s’obstinent à nommer place de la Révolution, le soleil nous a tentés. Au lieu de passer par le pont de la Concorde, nous nous sommes engagés dans les Champs-Élysées, et, une fois partis, nous ne nous sommes plus arrétés. Après avoir dépassé la barrière, au haut de cette promenade, au lieu de suivre la route de Saint-Germain, nous avons tourné à gauche et traversé Passy. Les riches villas, les élégantes « petites maisons » que j'y ai vues n'existent plus; Passy est devenu une bourgade insignifiante. Au delà, nous nous sommes trouvés sur un vaste espace désert, à travers lequel on construit une large chaussée qui sera bordée d’arbres; c'était l'emplacement de l’ancien jardin (4) de Passy, aug-

(1) L’Amant bourru, comédie en trois actes et en vers libres de J.-M. Boutet, dit Monvel, représentée le 14 août 1777; reprise jusqu'en 1826.

(2) Mlle Contat ne jouait pas dans l’Amant bourru, le 16 mars, mais le lendemain dans la Coquette corrigée, qui n’est pas une petite pièce, mais une comédie en cinq actes, en vers, de La Noue (1756).

(3) Reichardt se trompe: c'est place Louis XV qu'elle s'appelait, et le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), la Convention, au moment de disparaître, lui donna le nom de place de la Concorde.

(4) « L'ancien jardin de Passy », jadis rendez-vous des élégants et des élégantes, était une vaste esplanade de gazon où se trouvait une salle de bal avec un promenoir couvert élevé de quelques marches au-dessus du parquet de la salle pour permettre la vue des