Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

UN HIVER A PARIS SOUS LE CONSULAT. 429

à la résidence si accessible de Frédéric IT, à Sans-Souci, à la vie calme et paisible qu'il y menait en pleine campagne, sans la moindre précaution militaire. Combien de fois n’ai-je pas vu des étrangers s'approcher sans difficulté de ses fenêtres et contempler à l’aise le vieux roi écrivant ou jouant de la flûte !

J'ai dû faire un détour pour aller entendre à Feydeau la Lodoïska (1) de Kreutzer. L’instrumentation en est belle, mais je préfère de beaucoup la partition de Chérubini sur le même sujet. Le voisinage de Mille Georges, à côté de laquelle je me trouvais au balcon, m'a fait paraître le temps fort court. Elle est extraordinairement belle, plus belle hors de la scène qu'au théâtre. Sa tête antique est posée, sans aucune raideur, sur la plus belle nuque du monde. Sa physionomie est pleine de grâce, et toute sa personne, admirablement proportionnée, a un charme juvénile qui ne se rencontre guère parmi les beautés dites classiques. Mais je crois que l'esprit et l'intelligence sont moindres que l’on ne devrait s’y attendre chez la première tragédienne du jour.

Après le théâtre, j'ai fait de la musique chez Mme Ney. Chaque fois c’est une jouissance nouvelle pour moi de constater son goût et son talent supérieur de cantatrice. Au nombre des assistants se trouvait une Mme Campan, tante de Mme Ney, qui dirige à Saint-Germain un pensionnat dans lequel ont été élevées Mme Louis Bonaparte et plusieurs jeunes femmes distinguées par leur esprit et leurs talents artistiques. Cette dame a longuement discuté, avec un inspecteur général aux revues que j'ai

(4) Lodoïska, comédie en prose et en trois actes, mêlée d'ariettes, paroles de M. de Jaure, avait paru au Théâtre Favart, le 1* août 1791. Le libretto de l'opérette rivale de Chérubini est de Fillette-Loraux; sujet tiré du même épisode de Faublas.