Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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eu occasion de rencontrer et qui me paraît un homme de tête et de caractère, le projet que l’on prête à Bonaparte de transformer en hôpital militaire le château de SaintGermain, où logent les officiers du 3° régiment de hussards. Elle prévoyait la nécessité fâcheuse de déplacer son pensionnat et la ruine d’une petite ville fréquentée en été par les personnes riches et les étrangers, à cause de son air salubre. Il a été si souvent question, dans cet entretien, des agréments de Saint-Germain, que je me suis proposé d'y faire une excursion, au prochain beau jour; d’autant mieux que je connais la plupart des officiers de hussards. Ce sera le sujet d’une narration qui pourra vous intéresser plus que le récit d’un procès en Cour d'assises. Mais mon incursion dans le domaine judiciaire m'a vivement impressionné ; il faut que je vous en parle :

Avant-hier, vers midi, je suis allé à l'Hôtel de ville; le jury siégeait pour juger un herboriste accusé d’avoir empoisonné sa fille, avec la complicité de sa concubine, Dès neuf heures, un commissionnaire que j'avais envoyé en avant-garde, afin de m’assurer d’une place, était revenu disant qu'il avait trouvé une queue si compacte qu’il avait été impossible de percer jusqu’à l'entrée de la salle. Confiant dans mon expérience des foules théâtrales, je ne me suis pas découragé; je confesse qu’il a fallu des efforts surhumains pour pénétrer d’abord dans une foule composée de femmes du quartier habité par l'accusé, et me laisser ensuite porter, sans étre écrasé, jusqu’à la salle d'audience. Durant cinq heures, espérant toujours arriver au verdict, j'ai affronté une chaleur torride et des odeurs sui generis, suivant d’une part les débats, prêtant d'autre part l'oreille aux propos de mon entourage, où des créatures en haïllons-coudoyaient des femmes propre-