Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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caractère impérieux et vif, s’intéressait beaucoup à cette audition improvisée. Mme Moreau avait convoqué des artistes afin d'organiser le concert dont elle compte nous régaler, dans le courant de la semaine sainte. Je me suis convaincu qu'à Paris, comme partout, c’est une grosse affaire de réunir des « virtuoses » et de réussir à ménager les susceptibilités, les amours-propres, en tenant compte des exigences et des aptitudes de chacun. L’un était antipathique à un autre; celui-ci refusait de chanter ou de jouer, s’il devait rencontrer un rival ou un critique qui lui déplaît; un autre donnait à entendre qu'il ne pouvait promettre positivement sa présence, qu'il ne répondait pas d’un enrouement subit. Il fallait se pourvoir d’un chanteur capable de remplacer le premier, et se garder de laisser entendre au second qu'il ne servait que de bouche-trou. Telle cantatrice exigeait un accompagnateur particulier, elle faisait craindre qu’il fût impossible de se le procurer; parce que Mme Moreau en employait habituellement un autre! Bref, les si, les mais allaient à Vinfini. On a été longtemps avant de tout concilier, etmon amour-propre national a été flatté de constater que c’est Romberg qui s’est montré le plus accommodant. Mme Moreau a eu la bonté de me faire compliment de « l'obligeance de mes compatriotes »; j'ai accepté ses félicitaüons à titre d'encouragement : on agira mieux, je l'espère, à l’avenir chez nous que l’on né fait trop souvent à l'heure présente.

Il semble que le « virtuose » et l’ « artiste » ne soient pas de même essence. Les durs commencements du premier, les flatteries outrées, les minauderies féminines, les applaudissements exagérés, l’or, tout ce que le public prodigue, lorsque la perfection d'exécution est atteinte, peuvent excuser, jusqu’à un certain point, la vanité, les