Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 439

mier. Après être entré et avoir fermé la porte, le meurtrier tira d’abord sur le mari et le blessa mortellement à la tête; un second coup dirigé contre la femme ne l'atteignit point, mais la frayeur la fit évanouir; avec son troisième pistolet, l'individu s’est brûlé la cervelle. Au bruit des coups de feu, on avait appelé la garde; il arriva une escouade de remplaceurs : ce sont des jeunes gens en haillons qui montent la garde à la place des bourgeois qui ne veulent pas faire ce service. En apprenant qu’on avait tiré des coups de feu, ces remplaceurs furent pris d’une belle peur; aucun ne consentit à entrer de suite dans l’échoppe. Ils firent chercher des balles et de la poudre pour charger leurs fusils : les blessés etle cadavre restèrent une heure entière, nageant dans le sang, sans secours. — Le lendemain, un autre désespéré s’est tué dans des conditions moins dramatiques. Il était monté, sans être aperçu, au haut de la porte Saint-Denis; en se précipitant de là il s’écria gaiement « : Prenez garde, passants! Ce n’est pas à vous que j'en veux! » Et à l'instant, il s’abîma sur le pavé. L'autre jour, pendant que nous déjeunions à Saint-Cloud, on nous a assuré qu'il ne se passe pas de soir sans que l’on retire un cadavre du filet tendu sous le pont de Sèvres. Il y a là un emplacement affecté au dépôt des cadavres; on y va pour les reconnaître.

Laissons ces pudenda d’une grande ville. — Je préfère parler d’une agréable matinée chez Mme Moreau; elle était seule, son mari se trouvant à la chasse à Gros-Bois. Mme Moreau m’a joué sur son excellent piano Érard des morceaux des plus difficiles de Mozart et des compositions des plus élégantes de Steibelt; il est impossible d'entendre une exécution plus brillante, plus expressive, plus nette. Sa mère, personne imposante, qui paraît d’un