Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt
SOUS LE CONSULAT. 465
ciens. Il daigna cependant lui accorder une certaine attention, lorsque j'invoquai l'autorité de Leibnitz qui, dans une de ses lettres familières, fait allusion à un acte intellectuel de ce genre.
La soirée musicale chez Mme Moreau s’est très bien passée. L'assistance, brillante et nombreuse, se composait en majorité d'étrangers, surtout d’Anglais ; parmi les Français, au milieu des anciens émigrés, la princesse de Rohan dans tout l'éclat de sa beauté; un certain nombre de « nouveaux riches » complètent le cercle. Les officiers et les employés attachés au général avaient fort bon ton; leur conversation m'a permis de juger de leur culture. Bien entendu, aucun membre de la « famille régnante », aucune des personnes de sa suite, aucun ministre n’était présent. Leur absence ne pouvait surprendre ; mais j'ai noté, comme symptôme grave, celle de tout personnage notable de ce grand monde qui s’empresse aux assemblées du « maître » à Paris : pareil éloignement est significatif. Je cherchais à me rassurer sur les dangers de la situation de Moreau (1), en observant sa sérénité sans aucune apparence de préoccupations, son air de satisfaction tranquille, tandis qu’il regardait sa charmante femme ou son joli petit garçon. Avant que le concert eût commencé, l'enfant était sur le bras de sa grand’mère, dans le premier des trois salons ouvert au premier; chaque fois que ses devoirs de maître de maison le permettaient, le père s’approchait de son fils et s’amusait à le lutiner. Si jamais le général devait être arraché à cet intérieur si attachant, tout homme de cœur éprouverait certainement une profonde commisération. Arrière les pronostics sinistres! le froid égoïsme et la légèreté incroyable de ce peuple
(1) Ce n’est que dix mois plus tard, le 44 février 1804, que Moreau fut arrêté.
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