Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt
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laissent cependant entrevoir un avenir bien menaçant.
Le monde est arrivé à partir de neuf heures; Mme Moreau, en toilette aussi élégante que le permet la simplicité du costume à la mode, recevait ses invités avec son mari, vêtu de son frac brun habituel et montrant sa bonhomie cordiale de tous les jours. Les dames se sont assises en cercle, les cavaliers s’empressant autour d’elles. Un peu avant dix heures, tout le monde a passé dans un salon plus vaste où se trouvaient placés, l’un à côté de l’autre. deux beaux pianos-forte d’Érard entourés de pupitres, devant lesquels se sont placés le bon violoniste Grasset, directeur des concerts Cléry, le grand violoncelliste Romberg, le jeune Kreutzer et le pianiste Jadin.
Mme Moreau a enlevé avec Jadin un brillant concerto pour deux pianos, œuvre du maëstro ; après elle, Mme Barbier a chanté avec infiniment de bravoure des airs italiens ; enfin un Italien nommé Docaenio, récemment venu de Londres, — personne n’a su me dire s’il est chanteur de profession ou dilettante, — a modulé quelques bluettes dans le goût actuel, d’une voix très agréable, suivant la méthode italienne. Les quatre excellents artistes nommés plus haut ont exécuté un quatuor de Haydn, avec la perfection que l’on devait attendre. Mme Moreau s’est remise au piano pour jouer des variations de Steibelt avec la grâce et le brio qu’elle sait déployer. Le dernier morceau du programme consistait en airs de ballet de Steibelt joués par Jadin et accompagnés au tambourin par Mme Moreau. Tout le monde a été charmé des gestes. des attitudes élégantes et naïves de la séduisante virtuose : Moreau ne l’a pas quittée des yeux pendant qu’elle fascinait l'assistance. Jusqu'à quel point était-il fier des succès de sa femme? Sa physionomie toujours si calme ne permettait pas d’en juger d’une manière absolue; peut-