Une mission en Vendée, 1793

266 UNE MISSION EN VENDÉE, 1793.

républicain mange à la table d’un modéré, sans intention de la part ni de l’un ni de l’autre, le mal gagne et le républicanisme s’affaiblit. On trouvait, dit la fable, dans l'empire de Vénus un air mou qui rendait les esprits languissants, qui portait les cœurs à la tendresse, énervait les courages, faisait couler dans les yeux une flamme douce et brûlante. On respirait l’amour par tous les pores. On respire malgré soi le venin aristocratique dans la maison d’un aristocrate. L'homme qui se laissera prendre aux appâts d’une muscadine, sera bientôt muscadin. La transmission des habitudes est insensible et rapide. J'ai vu la républicaine la plus prononcée devenir anti-républicaine par l'effet de l'amour qu'un patriote déguisé avait su lui inspirer. J'ai connu aussi un jeune républicain que l'aristocratie n'ayant pu corrompre ni par l'or, ni par les honneurs, ni par les promesses mensongères, espéra séduire par les appâts de la jeunesse, de l'innocence et de la beauté. Son âme était neuve encore, pure, ingénue, peu défiante; son cœur, ardent et tourmenté du besoin d'aimer. Il n'avait point sucé la vile soif des richesses; la faim de l'ambition était ignorée de lui, mais il était sensible aux gràces, à la vertu. On lui fit voir une jeune personne intéressante, aimable, spirituelle, passionnée : on lui cacha sa naissance. $Ses regards amoureux ne virent que sa maîtresse ; il aima, fut aimé. Prêt à s'unir par les liens de l'hymen, à voir couronner une tendresse mutuelle, il apprend que son amante est fille d’un ci-devant, d'un homme suspect que peut-être il devra frapper. Les larmes d’une épouse arrêteraientses bras. L'amour combattrait le devoir.

Qui peut s’exposer avec sécurité à l'issue d’un pareil combat? S'il était simple citoyen, s'il appartenait à lui seul, il ne verrait que sa compagne et s'embarrasserait