Une mission en Vendée, 1793

UNE MISSION EN VENDÉE, 1793. 285

souvent au peuple les battements de mains qui déshonorent à mes yeux les hommes libres. On n’applaudit jamais à la seule présence d’un homme, mais quand il parle, aux principes qu'il exprime. Quand on fait courir le bruit du prochain rappel des représentants délégués à Bordeaux et de leur remplacement, on dit que Bordeaux est perdu; on a dit même, et c’est dans une réunion nombreuse qu'a été proféré ce blasphème, on a dit qu'il faudrait que le peuple se portât en foule pour s'opposer au départ de son ami. J'ai Liré de ces faits et d’une multitude d'autres, trop longs à détailler, la réflexion que je crois vraie, qu'un représentant, revêtu de pouvoirs illimités, ne doit jamais rester longtemps dans les mêmes lieux, car, s’il se conduit mal, il ne faut pas lui laisser le temps de rendre le peuple victime de sa mauvaise conduite; s’il se conduit bien, il faut craindre ce penchant trop facile du peuple à la reconnaissance et à l'idolâtrie qui devient la mort dela liberté. Il faut craindre que le peuple ne se fasse une habitude, un besoin d'un homme, qu'il s'identifie avec lui au point de ne pas croire pouvoir s’en passer. Du reste, je dois rendre justice à Ysabeau, qui n’a cessé de travailler à bien remplir sa mission et qui mérite des éloges pour les services qu'il a rendus. Il désirerait luimême être rappelé d'ici à l’armée des Pyrénées-Occidentales, avoir un mois de repos dans les Pyrénées après treize mois d'absence de Paris et de mission continue, et regagner ensuite son poste. Je te dirai maintenant deux mots de moi. Mes lettres au Comité ont pu t'instruire de tout ce que j'ai dit et fait pourrégénérer l’esprit public. J’aisaisi la dernière conspiration découverte pour électriser un peu les sociétés populaires de Rochefort, où j'étais à cette époque, de la Rochelle, de Nantes et de Bordeaux. Je vous ai parlé en détail de la disette