Bitef

Kao nikada dosada bar ne u onome što smo videli и Francusko j Bob Wilson je izgradio kompleksnu arhitekturu, tako surovih slika. Bob Wilson demonstrira mehanizam našeg modernog doba i uporeduje ga sa neprolaznirn mehanizmom pozorišta. Ništa kod njega nije zamaskirano ni otvor na podu pozornice, ni skele, ni konopci. Promena dekoracija vrši se na očigled sviju: prikazuje i uporeduje kretanje masina i čoveka, uporna nastojanja covekove mašte, koja ce ga doterati do nemogućeg, do ludila ili smrti, geometriju njegovih nesigurnih koraka, koji ga ne rode nikuda. Koreografija Andrewa De Grota naglašava nesvesnu poslušnost tela, podređenog naređenjima mozga. »Ajnštajn na płazi « spaja nauku sa poezijom sluzeći se, pritom, kretanjem klatna kao simbola, tražeći istovremeno pažnju, razumevanje. Nikada se još Bob Wilson nije razotkrio do te mere, a sve и cilju da sagleda svoje vreme. (Colette Godard, Le Monde, 28. 7. 1976) Triomphe pour Bob I' W' Avignon. Le théâtre municipal affichait complet bien avant que /y “fies portes s’ouvrent, Ш/ dimanche, sur la première mondiale de ■Ш leur opéra Einstein S Ç? on the Beach. Et, dès Ш/ C' *3 qu’elles se sont ouvertes, le public s’est répandu dans une ruée sauvage. Ne pas numéroter les places d’une salle à l’italienne, c’est laisser le champ libre à la loi du plus fort, à moins de ne pas vendre plus de billets qu’il n’existe de fauteuils à bonne visibilité, ce qui en réduirait le nomibre d’un bon tiers. Cependant, le va-et-vient des spectateurs à la recherche d’un endroit où ils pouvaient voir s’est fait discret et, après quatre heures et demie de spectacle, la foule s’est soulveée pour une formidable ovation. Prodigieux plasticien du temps, annulateur de dirée, metteur en scène de voyages statiques, peintre de la poésie, Bob Wilson, une fois encore, s’élève à la hauteur de sa légende. Pourtant, son opéra n’est pas une réplique de la Lettre à la reine Victoria ou du Regard du sourd, bien qu’il soit, lui aussi, composed de tableux où les interférences des mouvements répétitifs et de l’mmobilité agissent en modificateur de vision. Devant one oeuvre de Bob Wilson, on se trouve comme devant un objet longuement observé, i insensiblement transformé sous le flux des figures attirées du fond de la mémoire obscure et qui partage alors son histoire

avec celle de qui le regarde. Le spectacle de la rencontre de Bob Wilson avec une photo d’Einstein sur une plage dont il reprend le grain pâli, le gris usé, développe l’imagerie d’un mythe: le violon et les chiffres, le blanc mortel de l’explosion atomique, l’ouverture sur le cosmos, qui délivre les corps de leur pesanteur. Cette imagerie s’inscrit dans celle de notre époque ilustrée par ses machines: le profil d’un train en carton découpé face à une grue métallique d’où un enfant lance des avions de papier. La plate-forme arrière d’un autobus où marivaudent un Blanc et une Noire en habits de gala. La salle de justice où se tient le procès de la science jugée selon des lois que la science a rendues dérisoires. La façade rose d’une maison où, derrière la fenêtre, Einstein poursuit ses travaux tandis que des badauds regardent. La prison, sauvegarde de ceux qui refusent des événements qu’ils ne comprennent pas. Une bombe pas plus grande qu’un jouet flotte devant des nuages indigo peints sur toile. Un rectangle qui porte la lumière nucléaire se dresse lentement. A l’intérieur d’un laboratoire spatial les signes géométriques lumineux sont des lampions de fête prêts à désagréger ceux qui les ont inventés. Les pages d’un livre se tournent, gardant, de l’une à l’autre, Einstein qui joue du violon, tandis que son double démultiplié aligne inlassablement des calculs invisibles sur un mur qui n’existe pas. Entre elles prennent place des » articulations «. intermèdes de calme tendresse devant un petit écran blanc. D’une page à l’autre des horloges muettes détruisent le temps, les choeurs chantent des chiffres et des notes. Jamais Bob Wilson n’a construit entout cas dans ce qu’on a vu en France une architecture aussi complexe de tableaux aussi dépouillés. Cette fois, leur dessin rigoureux se mêle à la musique de Phil Glass qui n’est pas un décor sonore. Sa théâtralité violente et généreuse joue dans un raport dialectique avec les formes et les couleurs qu’elle provoque dans la tête, avec la théâtralité épurée, qui prend possession de la scène. Bob Wilson montre et confronte la machinerie de notre monde moderne et celle, éternelle, du théâtre. Il n’en dissimule rien. Il en désigne les trappes, les cintres, les ficelles. Il transforme les changements de décors à vue en rite d’adoration funèbre à une divinité anachronique. Il montre et confronte le mouvement des machines et celui des hommes, les élans obstinés de leur imaginaire qui les projettent dans l’impossible, la folie ou la mort, la géeométrie perpétuellement réorientée de leurs pas encerclés qui ne les mènent nulle part. Les grandes plages chorégraphiques d’Andrew Degroat tracent l’obéissance inconsciente du corps au diktats du cerveau, se désirs de voyages, ses tentations exotiques, ses appels au rêve d’lcare et le plaisir simple du geste. Einstein on the Beach confond la science et la poésie dans un mouvement de balancier qui frappe, enveloppe et sollicite ensemble le regard, l’entendement, toutes les facultés de perception et de sensibilité. Jamais Bob Wilson n’était à ce point sorti de lui-même pour regarder son temps. (Colette Godard)