Bitef

impossible, le théâtre-I dans la nouvelle version du Pent Manoir (1969) celle qui a été réalisée en Yuguslavie pour la télévision de Saarbücken. Les actuers y circulaient à travers différents endroits où se produisaient des événements tout à fait insolites: dans une montagne, on jetait une amoire dans un précipice: dans un salon, apparaissait un troupeau de brebis, le casino de jeux était rempli de meules de foin; puis l’action se déplaçait en se déroulant dans différents endroits dans une fonderie, dans une gare, dans la rue, dans la foret. Dans son dernier spectacle les Gracieuses et les guenons (1973) Kantor comme il l’a dit lui-même, ne joue plus Witkiewicz, mais il joue avec Witkiewicz . Il n’y a plus là ni représentation, ni illustration de la pièce, ni expression d’acteurs. L’intrigue banale de Les Gracieuses et les guenons, est restée, mais elle se déroule parmi des actions scéniques qui n’ont aucun rapport avec les recommandations de l’auteur. Cependant du fait même qu’elles existent, ces actions créent une réalité théâtrale propre. Elle est faite de différents éléments dont tous ont une importance égale: les comédiens, les accessoires, le texte, les spectateurs. Tout cela, ce sont des objets avec lesquels on joue. Et la superposition de ces différents éléments crée des tensions dramatiques et des effets tantôt comiques, tantôt macabres. L’ensemble présente un chaos minutieusement agencé, ce n’est plus un théâtre de l’absurde, c’est le devenir de l’absurde lui-même. Tout se passe au vestiaire. Comme si le public, venu au théâtre, n’avait pas pu y entrer et, retenu au vestiaire, y était invité à s’amuser. Il est accueilli par deux portiers, des jumeaux moustachus très drôles qui rappellent des clowns de cirque ou des acteurs comiques d’anciens films muets. Durant tout le spectacle, ils manient les acteurs et les spectateurs, ils repoussent les acteurs au-devant de la scène puis les chassent, ils changent les spectateurs en 40 Mandelbaums personnages de la pièce. Ils manipulent un grand nombre d’accessoires n’ayant aucun sens métaphorique, ni aucun rapport avec l’action de la pièce, qui ne sont importants que par le fait même de leur apparition, par leur rapport avec les comédiens et par l’effet de surprise provoqué: une cage à poules, un brancard d’hôpital qui à la fois distribue de l’eau minérale et se transforme en guet-apens, un évêque qui se déplace avec une embrasure de porte, un amant qui ne se sépare pas d’un squelette, etc. Tout ceci est en quelque sorte superposé à l’intrigue de la pièce, de cette comédie aux cadavres comme Witkacy l’a appelée, l’histoire de la belle et scélérate princesse Sophie Kremlinska née Abencérage, de sa vie scandaleuse et de ses amans rivaux. Parfois cette hoistire est interrompue par des événements absurdes et incompréhensibles : on tend une corde et on commence à la mesurer soigneusement, cette démarche, bien qu’elle soit dépourvue de signification, n’en attire pas moins l’attention de tout le monde. Le spectacle se termine sur une danse apocalyptique... Kantor lui-même est toujours présent sur scène. Il s’y promène avec un visage indifférent. Il fait semblant d’agencer les situations, mais sa présence abolit toute illusion théâtrale. Il veille et intervient dès que le spectacle risque de se transformer en un théâtre normal, doté d’une certaine

force ď expression et visant à imiter ta vie. Dans tout ceci, en peut déceler un écho de certaines tendances contemporaines dans la peinture où le matériau authentique et les objets réels sont applés à agir par léeffet de choc et de surprise. Dans son ensemble, ce théâtre qui n’est pas facile à savoir, constitue un jeu intellectuel parfois très spirituel et toujours stimulant et inquiétant; Witkiewicz lui sert d’aliment extraordinaire. Dans son dernier spectacle, Kantor, une fois de plus, a fourni la preuve que Crîcot 2 ne cesse d’être en tête de I’avant-garde.