Bitef
pas une comédie mais une scène comique, et enfin, il n'y a pas là de rôle pour vous. Chtchepkine ne fit pas grand cas des conseils de Gogol et la première des Joueurs eut lieu le 5 février 1843 au Bolchoï, en même temps que les Noces. Chtchepkine y jouait le fôle de Utiechitel. Plusieufs faits peu connus donnent à penser que, sous leur forme définitive, les Joueurs furent bien écrits en 1842, mais en utilisant des schémas plus anciens, datant apparement de l’époque la plus féconde de la création de Gogol, du milieu des années trente, comme les deux pièces les plus célèbres de l’auteur, les Noces et le Revizor. On peut, cependant, mettre en doute cette hypothèse: en effet, les Joueurs sont d’une facture très différente, et, en leur genre, une exception dans l’oeuvre de Gogol. La correspondance de l’auteur nous montre bien que lui-même en était conscient. Cela, qui est surtout vrai du roman les Ames mortes, le reste encore pour ses comédies les plus souvent données, les Noces et le Revizor. Les personnages de ces pièces sont, du
premier jusqu’au dernier, un résumé de certains vices humains. Pour les caractériser, Gogol les tourne en dérision. Les personnages aux noms ridicules vivent des situations d’un comique outré, encore renforcé par des micro-situations bâties à partir d’un bon mot ou d’exagération verbales ironiques. Ce procédé a le plus de force dans le Revizor ou et faisait plus de cas des Joueurs que des Noces. Gogol est, non sans raison, souvent appelé le fondateur du réalisme littéraire russe. Sa vision de la réalité n’est, la plupart du temps, déjà plus romantique, ni dans le choix des sujets, ni dans leur réalisation. Luimême assure que son sujet est la vie dans sa banalité, la société dans ses petitesses. Pour ne pas tomber, luiaussi, dans la médiocrité, Gogol enfle la petitesse et la banalité de la vie quotidienne de telle façon qu’elle en crève les yeux, qu’on la distingue; il en fait l'une des composantes les plus caractéristiques de la vie, qui vaut bien la peine qu’ on 1’ étudie et qui peut paradoxalement conduire à une image plus générale de l’existence humaine.
Les procédés employés par Gogol -1’ exagération, le fantastique, le grotesque - pour représenter la banalité comme l’une des formes d’être fondamentales de l’homme arraché par Г évolution sociale aux relations et aux liens primaires traditionnels, sont les fondements-même du réalisme fantastique et grotesque. Gogol touche aux choses bêlantes de la vie publique, tandis, que les Noces nous montrent plutôt le côté privé, intime des anomalies de l’âme russe, tout à la fois aimée et haïe de Gogol. Face à la vision aiguisée de Gogol dans les Noces et dans le Revizor, les. Joueurs semblent à première vue beaucoup plus simples, plus proches de la râlité. Certes, Gogol n’y résiste pas au plaisir de donner à ses personnages des noms si éloquents qu’en les prononçant - c’est lui qui le dit- on ne puisse s’empêcher de se signer. A ceci près, la méthode qu’il choisit ici pourrait être définie par le terme de réalisme psychologique. Les moyéns d’expression des Joueurs ont la finesse des pièces psychologiques modernes, ce qui est une exception dans l’oeuvre de Gogol. Il y conserve
pourtant sa vision personnelle du monde, son exagération des faits mis en scène. En réalité, comme le montre bien la conclusion, toute cette finesse psychologique n’est qu’un jeu, une psychologie de la psychologie, en quelque sorte une psychologie au carré. Les Joueurs et le Revizor ont le même thème: l’imposture. Mais, si, dans le Revizor , ce thème donne lieu à une vision unilatérale, à un tableau exagéré de la société, dans les Joueurs, il mène à une analyse extraordinairement fine de la pensée et de la conduite humaine. L’action des Joueurs a beau être vraisemblable, naturelle, conforme au sens commun, aux conventions sociales et psychologiques, ce n’est pourtant pas la réalité. Gogol en arrive à une vision unilatérale de l’homme et de la société, il porte des considérations sur les possibilités et les capacités des hommes à s’orienter dans le monde. Même si les Joueurs ne sont pas la meilleure pièce de Gogol et l’une des plus petites par leur taille, c’est néanmoins là, peut-être, que l’auteur réussit le mieux à fixer l’homme dans son universalité et sa