Bitef

badauds mais aussi au public des ciraémas: Ils n’ont pas demandé à venir au monde et pourtant ils sont nés. Vous pourriez étre l’un d'eux. Le nain Hans précise calmement: Les gens ne comprennent pas que je suis un homme, avec les mêmes sentiments qu’eux. Combien de fois ne vous ai-je pas dit de ne pas avoir peur? , dit la nurse des monstres à ses protégés, alors qu’elle vient d’expédier un débile plutôt facho qui hurlait: Il devrait y avoir une loi pour les tuer ou les enfermer! Et le clown Phroso prononce la vérité - la vérité si banale: C’est triste? Cela les fera tordre, ce soir. Bien sûr, le film ne pouvait pas échapper à une ambiguïté un doute malsain. De nombreux spectateurs des cirques ressentaient quelque chose comme une délectation légère à laisser traîner leurs yeux sur ces infirmes exposés, enchaînés. Les femmes à barbe, les êtres sans bras ni jambes, les torses vivants qui tenaient dans le creux de la main, les visages cassés d’une manière ou d’une autre, n’étaient pas inclus dans le programme même du cirque; ils étaient montrés à part. Chaque cirque avait les siens. Pour son film, Browning s’approvi-

sionna chez Barnum, dont le tréteau de monstres mesurait 60 métrés de long. Du moins les dernières images du film Freaks, qui montrent la révolte sanglante des handicapés, étaientelles très fortes. Et du moins le film était-il de toute beauté, sans esthétisme, sans alibi. Browning s’employait aussi, et même avant tout, à exprimer que l’illusion est une réalité, comme dit le critique Jacques Goimard, qui a trés bien analysé le film. Le travail de théâtre que Geneviève de Kermabon a réalisé d’après le film de Browning a un tout autre caractère. Ce spectacle est poétique, au bon sens du mot, au mauvais aussi. Les décors, machineries, costumes, couleurs, sont dans le droit fil d’une féerie, d’un charme. Beaucoup de douceurs pastellisées, de jolies lumières de rêve. Comme si le spectacle prenait la tangente d’une fantasmagorie et de gracieusetés, alors que les vues tranchantes blanches et noires du film prenaient les choses à bras le corps, et de face. En même temps a lieu un phénomène très exactement contraire: le théâtre de Geneviève de Kermabon

est bien plus brutal que le film, parce qu’au théâtre les torses sans membres, les êtres qui tiennent dans la main, sans que nous comprenions qu’ils puissent garder la vie, sont bien là, sont réellement présents là. Un doute planait. Cela dit, la brutalité n’est pas tout. L’image de cinéma, par des itinéraires non encore vraiment définis, s’insinue dans le psychosomatique, s’en va atteindre les points névralgiques un peu comme un laser magique de l’imaginaire, alors que la présence réelle de l’homme-tronc s’en prend aux préhensions perceptives classiques, moins perverses si l’on veut. La raison d’être, l’importance, et l'excuse de ce spectacle hors normes, d’ailleurs accompli avec grand soin et grand savoir-faire, tournent, comme celles du film, autour de la peur, de la souffrance. Peur et souffrance que ressentent les autres, peur et souffrance qu’ils suscitent chez autrui, déterminant des racismes. Il s’agit là d’une chose si vitale et si cruelle que son insertion dans un programme d’ensemble, celui du Festival d’Avignon, qui inclut la notion de plaisir, choque. Il ne faut pas seulement admettre

qu’il est pénible de voir Freaks, il faut aussi le souhaiter. Situation bien particulière. Il est tout aussi pénible de devoir rendre compte de Freaks. Voilà, c’est fait. □ Michel Cournot, Le Monde, 13 juillet, 1988.

Notice de mise en scene Je ne veux rien prouver à personne, rien démontrer. Je ne veux ni faire quelque chose de résolument choquant ou provocateur, ni moraliste (les »phénomènes« laids dans leur corps sont beaux intérieurement ou inversement). Il sont comme n’importe qui... Je veux seulement raconter cette histoire bouleversante, cruelle et.vraie. Je veux tenter d’exprimer l’atmosphère quotidienne d’un cirque ou se côtoient les modèles de beauté et de force physique et des êtres atrophiés ou disqrâciés (d’une fa,con ou d’une