Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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pauvre et délaissé par tout le monde, se vit réduit à passer ses dernières années dans le plus triste isolement. En mars 1791, Ettlingen le voyait revenir et reprendre ses plantations méthodiques, qui transformaient peu à peu ce domaine princier en la plus vaste pépinière, et la mieux ordonnée qui fût en Europe.

Mais l'atmosphère politique changeaiït autour de lui, et le conflit des passions, qu'il fuyait en France, venait le poursuivre jusqu'à Carlsruhe. L’émigration s'était établie, nombreuse et bruyante, tout le long de la rive droite du Rhin. Condé recrutait dans l'évêché de Spire et le Palatinat, Rohan et le vicomte de Mirabeau formaient leurs légions dans le bailliage d'Oberkirch, et leurs volontaires indisciplinés infestaient les abords de Kehl. Le vieux margrave, quelque désireux qu’il fût de conserver la paix, quelque peu porté, par tempérament, à favoriser les excentricités et les fureurs des émigrés, ne pouvait se soustraire pourtant à l'influence de son entourage. Il ne faut pas oublier qu’une bonne partie de la noblesse alsacienne fugitive était également possessionnée dans le pays de Bade et qu’elle y portait ses colères et son ardeur à la vengeance. Les drapeaux tricolores qui flottaient aux tourelles de la cathédrale de Strasbourg, lui semblaient un appel perpétuel à la révolte de ses sujets allemands et les rixes individuelles, déjà fréquentes entre les habitants des deux rives, pouvaient dégénérer à chaque instant en conflit officiel.

Aussi ne faudrait-il pas trop s'étonner que Butré se sentît mal à l’aise à la cour de Carlsruhe, où toutes les dames travaillaient à broder un étendard pour la légion de MirabeauTonneau ‘, où, deux fois par semaine, le margrave recevait les émigrés à sa table *, et où l'exposé modéré des principes de la Constitution française devenait un crime de haute tra-

1 Strassburgische Zeitung, 18 mars 1791. ? Politisch-Laiterarischer Kurier, Strasbourg, 30 avril 1791.