Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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« Paris, 4 février 17992.

« Votre lettre me tire d’une grande inquiétude. Je me disais tous les jours que sûrement vous ne m’aviez point oublié, et ne recevant point de vos nouvelles depuis si longtemps, je concevais de vives alarmes. Heureusement qu'il n’y a qu’un peu de paresse. Je suis charmé de ce seul motif; j'ai envoyé, il y a trois mois, 600 pieds d'arbres et j'ignore encore s’ils sont arrivés. Cela n’est pas encourageant pour toutes les peines que je me donne. Le décret que je vous ai envoyé par ma dernière m’ayant paru vous intéresser, c’est ce qui fit que je me hâtai sur le champ de vous l’expédier et de le porter vite à la poste, avant son départ. Il aurait dû vous parvenir deux jours plus tôt, sans quoi je ne l’aurais pas envoyé.

« Je souhaite que tout ce que vous m’annoncez se réalise pour le bien des peuples qu’on tourmente assez partout, et que les tigres qui veulent les dévorer ne puissent assouvir leur rage. Mais je ne vois dans tout ce que vous dites que le style d’un ministre qui me parle comme à un Français à qui il croit des vues hostiles. Je vous dirai, comme je le mandaiïs, il y à un an, à Mgr. le margrave, que je ne suis ni Anglais, ni Allemand, Italien ou Espagnol, ni Français. Vous me demanderez peut-être ce que je suis; vous le devriez savoir depuis quinze ans que nous vivons ensemble. Je suis à la vérité né dans un château de France qui servait de repaire, où mes ancêtres, depuis mille ans, excerçaient le sot métier de noble, pour ne pas dire pis. J’eus horreur dès mon enfance de cette vie animale et féroce, je fus mis à sept ans dans des collèges et après ma philosophie je m’en éloignai pour toujours, à la réserve de quelques apparitions que jy fis pour étudier l’art agricole comparatif et enfin, après la mort de mon féal père, j'y revins vendre le château et me réunir au peuple de toute la terre pour annoncer ses droits, si étrangement violés sur tout le globe.

« C’est pourquoi, étant toujours resté homme, depuis ce