Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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Butré s’indigna d’abord : « Vous ne me parlez que d'ouvrages à la toise; je n’en fais point de cette marchandise-là, qui n’est bonne qu’à fournir les boutiques des épiciers.» Mais la faim le talonnant, il fallut bien accepter le peu qu'on lui offrait, d'autant qu'il n'avait pas les moyens d'engager un procès en contrefaçon. Hélas, il n’eut pas même à toucher cette faible somme, dont il aurait eu tant besoin. Marchant ne le paya jamais. !

Désabusé du côté de l’Allemagne, Butré avait résolu de faire encore une tentative du côté de la France, et de proposer au gouvernement la création d’un enseignement horticole, comme il existe de nos jours dans la plupart des états. Le 9 frimaire de l'an X (30 novembre 1801), il adressait au citoyen Chaptal, alors ministre de l’intérieur, un projet de création d’un grand «jardin d’enseignement fruitier ». Les bureaux ministériels répondaient quelques semaines plus tard par un éloge bien senti du civisme de l’impétrant, mais déclinaient toute entrée en matière, l'entreprise ne pouvant être, de sa nature, qu’une entreprise d'agriculture particulière, dont les promoteurs tireraient d’ailleurs à la fois honneur et profit.

Butré écrivit alors au célèbre chimiste qu’il ferait bien de prendre son projet en considération, puisqu'il tendait à donner à la France un établissement d'instruction publique, tel qu’il n’y avait point encore en Europe, et dont personne jusqu'ici n'avait énoncé l’idée. Il ajoutait ce détail, qui semble bien insolite dans une pièce officielle, mais qui fait une impression douloureuse dans sa résignation désespérée.

« En attendant je continuerai ma vie frugale de pommes de terre, ressource de la médiocrité, m'occupant à les réduire en

1 Les pièces qui nous restent, relatives à cette triste affaire, sont assez nombreuses. Les deux principales lettres du dossier sont celle de Marchant, du 10 brumaire, an XI, et la réponse de Butré du 28 brumaire (1 et 19 novembre 1802).