Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)
ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 9
qui ont rompu les digues. Il est vaincu; mais il est un des rares qui ne furent pas brisés dans cette résistance, et il eut le bonheur, après le 10 août 1792, de se dérober, d’être entrainé en captivité loin du théâtre de la lutte, pendant les années les plus dures. L’abandon de son poste de général en chef à l’armée du Nord, le 19 août 1792, est l'événement culminant de son existence. Tout le développement antérieur de sa nature l’a conduit, par une série de conflits avec la réalité et de coups de tête, jusqu'à ce moment de folie, et tout le reste de sa vie s’en est ressenti. C'est de là qu’il en faut envisager l'étrange cohérence sous des inconséquences nombreuses. Pendant les méditations solitaires de sa prison de Magdebourg, il eut un jour le sentiment de cette unité psychologique, et, après avoir résumé toute sa carrière jusqu'à ce point, il déclare (lettre XIT) que toute sa conduite au 10 août fut la conséquence de ses principes; et s’il recouvre la liberté, ce sera pour se bercer encore de cette Salente mystique accommodée au goût de Mably, où il tâchera d'établir, à l'usage de la bourgeoisie, « une bonne représentation, un bon gouvernement, la liberté fondée sur la vertu et l'ordre légal ». Pendant la période d’exaltation de ses sentiments vers ce vague idéal de libéralisme, ni la raison ni l'expérience n’ont pu lui faire apprécier les événements qui le portaient, autrement que par leur contre-coup sur sa popularité, dont il goûta tous les enivrements. Lorsque la réalité se présenta à lui entièrement dépouillée de ces prestiges, qu'il vit s'écrouler « cette immense perspective de gloire préparée depuis dix-sept ans et dont il croyait être sûr » (lettre XI), il fut effaré, se sauva sans savoir où, oubliant ses devoirs de général, le danger de la